“Notre poison quotidien”: un docu difficile à digérer
Le documentaire de Marie-Monique Robin revient sur trois scandales de l'industrie agroalimentaire : les pesticides, l'aspartame et le bisphénol A ; une enquête approfondie qui manque juste un peu de liant.
Le 15 mars, Arte diffusait le nouveau documentaire de Marie-Monique Robin, Notre poison quotidien. Après avoir traité, avec un certain succès, le thème des OGM dans le Monde selon Monsanto, la documentariste s’attaque maintenant à l’agroalimentaire en général. Elle a enquêté de manière approfondie et très documentée sur trois sujets en particulier :
- les pesticides
- l’aspartame
- le bisphénol A (que l’on retrouve dans de nombreux plastiques).
Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’après l’avoir vu, on a du mal à digérer.
On a du mal à digérer notamment parce que Marie-Monique Robin nous présente un monde occidental dans lequel l’agriculture intensive a tellement pris le dessus que nos agriculteurs ont du mal à réagir face aux différents accidents du travail dont ils font les frais. Car, comme le montre le documentaire, ce sont essentiellement les agriculteurs qui sont victimes de l’usage intensif des pesticides. Depuis des années, l’utilisation de ces produits est très ancrée dans la pratique des agriculteurs. Et les pressions sont très fortes pour ne pas parler des problèmes qu’ils engendrent (aussi bien des autres agriculteurs que des fournisseurs ou des commanditaires). Les agriculteurs ont donc eu beaucoup de mal à faire reconnaître certaines maladies dues à leur usage. Et il a fallu attendre le milieu des années 90 pour que “des études américaines, italiennes et scandinaves montrent que certains cancers étaient plus fréquents dans la population agricole que dans la population générale” indique dans le documentaire le docteur Jean-Luc Dupupet (médecin de la Mutuelle Sociale Agricole).
Marie-Monique Robin revient aussi longuement sur la mise sur le marché de l’aspartame alors que des scientifiques prévenaient déjà la Food & Drugs Administration (FDA) que le rapport bénéfices/risques n’était pas bon. En effet, le bénéfice de l’utilisation de l’aspartame, s’il apporte un certain confort, présente aussi des risques d’effets secondaires et de cancers. Dans son enquête, Marie-Monique Robin explique aussi comment, Searle, la société pharmaceutique productrice de l’aspartame a réussi a imposer aux politiques la mise sur le marché de son produit.
Rendre publiques les données toxicologiques pour un meilleur fonctionnement
La digestion de ce documentaire est encore plus difficile quand on apprend comment les agences de sécurité sanitaire travaillent. Robin dénonce les méthodes de calculs de la dangerosité des produits. Elle explique que la DJA (la Dose journalière admissible par le corps d’un individu moyen de 60 kg), mesure utilisée par toutes les agences, est calculée de manière assez floue. Basée sur des expériences sur les animaux, elle utilise un facteur de sûreté décidé arbitrairement par la FDA dans les années 60.
Pour mesurer cette DJA, les agences utilisent les données fournies par les industriels. Mais ces données sont protégées par une clause de confidentialité et ne sont accessibles qu’aux experts des agences. Il est donc impossible de vérifier le bon fonctionnement du système.
Angelika TRITSCHER, secrétaire adjointe au Joint FAO/WHO Expert Committee on Food Additives (JECFA) et à la Joint FAO/WHO Meetings on Pesticide Residues (JMPR) justifie cette rétention des données par la protection du droit de propriété intellectuelle. Mais comme le dit Eric Millstone, professeur de politique scientifique interrogé par Marie-Monique Robin :
[Cette pratique] ne sert que les intérêts des entreprises chimiques et est complètement contraire aux intérets des consommateurs et de la santé publique. Seules les données qui concernent le processus de fabrication des produits peuvent justifier ces clauses de confidentialité car elles représentent des informations commerciales sensibles. En revanche, toutes les données toxicologiques devraient être dans le domaine public.
La dose ne fait plus le poison
La documentariste aborde aussi le problème du Bisphénol A (utilisés jusqu’à récemment dans les biberons) et du nonylphénol, hormones de synthèse utilisées dans certains plastiques qui entraînent des dérèglements hormonaux graves pouvant déclencher eux-mêmes des cancers (du sein et de la prostate par exemple). Ces substances jouent le rôle de perturbateurs endocriniens : elles ne sont pas toxiques au sens habituel du terme mais perturbent le bon fonctionnement du système hormonal et donc la fonction sexuelle et reproductrice.
Pour les agences de sécurité sanitaire, la DJA est la mesure la plus importante, car elle permet d’autoriser la mise sur le marché agroalimentaire d’une substance. Et cette DJA s’inscrit dans la logique qui fait que c’est à partir d’un certain seuil qu’une substance est déclarée nocive. Mais l’action des hormones n’est pas proportionnelle à la dose injectée. Par exemple, une faible dose d’une certaine hormone peut avoir une action stimulatrice alors qu’une dose importante de cette même hormone peut être inhibitrice. Mais les industriels et les agences restent sur leur dicton “La dose fait le poison” et ne veulent pas tester de produits à très faibles doses.
Enfin, Marie-Monique Robin pointe le fait que les agences sanitaires ne s’occupe aucunement des problèmes qui pourraient être liés aux “cocktails de substances agroalimentaires” sachant qu’au-delà de trois substances ingérées les toxicologues ne savent pas quels effets cela produit sur l’organisme.
Une naïveté parfois un peu trompeuse
Mais Notre poison quotidien est aussi difficile à digérer parce que son auteure refuse à la science et aux scientifiques la possibilité de se tromper et d’être approximatifs. Quand elle pointe le fait qu’une DJA ait été révisée au vu de nouvelles données, elle demande au scientifique en face d’elle si l’ancienne DJA nous protégeait. Mais on sait très bien que n’importe quel seuil de sécurité est posé en fonction des connaissances du moment et qu’il faut réviser ce seuil si on a de nouvelles données. Et ceci n’est pas seulement vrai en science, mais dans tous les domaines.
Enfin, Marie-Monique Robin conclue candidement son documentaire par une séquence en Inde pour nous montrer que dans la population de l’Orissa (état de l’est de l’Inde) les cancers sont “quasiment inexistant” (à l’exception de celui de la bouche dû à la mastication de tabac).
Consommant leurs propres légumes et du Curcumin, les villageois qu’elle rencontre ne connaissent ni cancer, ni obésité. D’ailleurs regardez, la personne interrogée ne sait même pas vraiment ce qu’est le cancer. Ici, Robin va vite en besogne et compare des modes de vie difficilement comparables. Faut-il en conclure que nous devons adopter le mode de vie indien ? Ou que cette fin est un appel a ce que nous ne aidions les pays du Sud à ne pas reproduire nos erreurs ?
Espérons que c’est cette deuxième idée que la documentariste veut faire passer. Il serait naïf de sa part de penser que la solution à tous nos problèmes agroalimentaires consisterait en l’adoption du modèle traditionnel indien.
Cette enquête nous montre que la surveillance des produits de l’industrie agroalimentaire est autant soumise aux pressions et aux conflits d’intérêts que celle du médicament (mis en lumière par le Mediator). Mais dans le cas du médicament, il existe au moins une chaîne de vérification qui n’existe pas dans l’agroalimentaire.
>> Illustrations CC Elsa Secco pour OWNI et FlickR (utilisation de l’image de Dave – aka Emptybelly en CC ) Ðeni [away for a while]
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Retrouvez notre dossier sur l’enquête de Marie-Monique Robin :
Les dangers de l’aspartame et le silence des autorités publiques, les bonnes feuille du livre de Marie-Monique Robin Notre Poison quotidien
Des alternatives aux pesticides
Et notre illustration de Une de Elsa Secco en CC (utilisation de l’image de Dave – aka Emptybelly en CC )
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