Cinq ONG accusent Glencore et First Quantum de frauder le fisc zambien
Un rapport confidentiel du gouvernement zambien met en cause deux géants des matières premières. Le Suisse Glencore et le Canadien First Quantum Minerals sont accusés de fraude fiscale par cinq ONG. Une enquête OWNI.
En 2009, des fonctionnaires de l’Autorité fiscale zambienne ont décidé de mandater des auditeurs de Grant Thornton et Econ Poyri pour examiner, avec le soutien du gouvernement norvégien, les impôts provenant de l’industrie minière, plus importante source de revenus du pays, indépendant depuis 1964.
Cinq ONG (la française Sherpa, la zambienne Center for Trade Policy and Development, la suisse Déclaration de Berne et les canadiennes l’Entraide Missionnaire et Mining Watch) se sont procurées ce rapport confidentiel. Sur cette base, elles ont déposé ce mardi 12 avril une procédure de circonstance spécifique devant les Points de contrôle nationaux suisse et canadien de l’OCDE. Une procédure pour violation des principes directeurs de l’OCDE, qui vise les sociétés Glencore International et First Quantum Minerals.
7 600 mineurs sur quatre sites
La Zambie reste aujourd’hui le 25ème pays le plus pauvre du monde, avec une espérance de vie de tout juste 47 ans. Les responsables de l’Institut zambien des experts comptables (ZICA) ont relevé de nombreuses anomalies dans le comportement de la plus grosse entreprise minière du pays, les mines de cuivre de Mopani.
Mopani a été acheté par Glencore en 2000. Elle emploie 7 600 mineurs travaillant dans quatre mines souterraines: un concentrateur et une usine de cobalt dans la ville de Kitwe, une mine, un concentrateur et une raffinerie à Mufulira. Depuis sa privatisation, Mopani est devenue la seconde entreprise minière du pays.
Après un an de recherche, les auditeurs ont acquis quelques certitudes, publiées dans un rapport préliminaire en novembre 2010. Mopani, écrivent-ils, est coupable d’avoir commis de nombreuses violations des principes directeurs de l’OCDE, en particulier par la manipulation de ses balances comptables sur la productivité et les coûts de production. Des manœuvres qui passent notamment par la falsification des cours de vente du cuivre, afin d’éviter d’avoir à s’acquitter des impôts sur les bénéfices réalisés en Zambie ( en vertu du principe connu de libre concurrence).
Des ventes à 25% du cours officiel
En réalité, les auditeurs ont révélé que Mopani détournait les prix de transfert en vendant parfois à maison-mère Glencore du cuivre à 25% du prix officiel défini à la bourse des métaux de Londres, l’entreprise évitant ainsi de régler 75% d’impôts sur les ventes à terme, défini par un accord interne.
Lorsque le ministre des Finances et du développement économique, le Docteur Situmbeko Musokotwane , reçu le rapport, il ne réagit pas. En fait, ce qui aurait dû déclencher la colère du gouvernement fut accueilli par un silence intersidéral. Pas plus tard qu’en février 2011, un responsable de la ZICA affirma à l’agence Bloomberg que la « licence de Mopani pourrait être suspendue », mais aucune action ne fut entreprise, sans parler de la presse d’État qui s’abstint d’évoquer l’affaire.
De nombreux blogueurs ont reçu des menaces après avoir évoqué le sujet sur leur blog personnel. D’après Gershom Ndhlovu de Global Voices Online, un blogueur nommé Chola Mukanga « fut forcé de retirer le rapport intégral de son site, car apparemment il reçut des menaces de la part de messagers du gouvernement ».
Difficile désormais d’étouffer l’affaire. Depuis son indépendance, l’économie zambienne s’est beaucoup appuyée sur l’industrie du cuivre. D’après les chiffres de la Banque centrale, ce secteur génère 70% de ses recettes à l’export, et ce malgré le fait qu’il ne représente que 10 à 15% des rentrées fiscales du pays. Selon le rapport d’audit, la plupart de ces rentrées fiscales sont dues à la contribution des mineurs eux-mêmes. Les entreprises paient moins d’impôts que leurs salariés, atteignant tout juste 4% de l’ensemble.
Un prêt de 48 millions d’euros de la BEI
Ces révélations sont d’autant plus gênantes que Mopani a bénéficié en février 2005 d’un prêt de 48 millions d’euros de la Banque européenne d’investissement (BEI) pour développer ses activités et contribuer ainsi au développement de la région. Depuis, la générosité du gouvernement zambien n’a pas connu de limites, devenant un véritable paradis fiscal pour l’industrie extractive. Alors qu’au moment de la crise financière, le pays composa avec la chute des cours du cuivre en annulant une taxe exceptionnelle, la remontée des cours ne provoqua aucun mouvement contraire.
Compte tenu de la bienveillance du gouvernement, il est surprenant de constater que les critiques sur cette gestion viennent directement du PDG de Mopani, Emmanual Mutati. Dans ce qui ressemble à une contre-attaque aux premières informations apparues dès la publication du rapport d’audit dans la presse, Mutati a souligné l’absence de sécurité sociale et d’infrastructures publiques, sous-entendant que le gouvernement n’utilisaient pas efficacement ses ressources. Les propos suivants lui furent attribués :
Il est impératif que le gouvernement prenne à sa charge, avec les entreprises minières, l’amélioration des conditions de vie des gens.
Malgré le rapport, M. Mutati affirma que la société n’avait pas débloqué de dividende pour ses actionnaires parce qu’elle voulait réinvestir ses profits afin d’améliorer sa production de métal dans plusieurs unités en Zambie. Il précisa que ces investissements lourds avaient pour objectif d’assurer l’avenir de l’entreprise pour les 25 prochaines années, une stratégie plus pertinente selon lui que de débloquer des dividendes.
Il se défendit également contre les conclusions du rapport, arguant que ces opérations de recapitalisation avaient aussi pour but d’assurer de nouvelles créations d’emploi. De là , la nécessité que le gouvernement assure en retour que « la collecte des impôts se fasse au profit de l’amélioration des conditions de vie des gens, de façon à profiter de la présence des entreprises minières ».
Violations des principes de l’OCDE
Un argumentaire qui ne pèse pas lourd au vue des infractions dont Glencore s’est rendu coupable vis-à -vis des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des multinationales [PDF].
Politiques générales (II)
Les entreprises devraient tenir pleinement compte des politiques établies dans le pays dans lequel elles opèrent, et de tenir compte des opinions des autres parties prenantes. À cet égard, les entreprises devraient:
1. Contribuer aux progrès économiques, sociaux et environnementaux en vue de la réalisation du développement durable. [...]
5. S’abstenir de rechercher ou d’accepter des exemptions non prévues dans le cadre législatif ou réglementaire concernant l’environnement, la santé, incitations à la sécurité, le travail, la fiscalité ou d’autres questions.
6. Appuyer et faire observer des principes de bonne gouvernance d’entreprise et de développer et appliquer de bonnes pratiques de gouvernance d’entreprise.
Fiscalité (X)
Il est important que les entreprises contribuent aux finances publiques de l’hôte pays en effectuant un paiement en temps voulu de leurs obligations fiscales. En particulier, les entreprises devraient se conformer aux lois et règlements fiscaux dans tous les pays où elles opèrent et déployer tous leurs efforts pour agir en conformité avec à la fois la lettre et l’esprit de ces lois et règlements. Il s’agirait notamment des mesures telles que la fourniture aux autorités compétentes des informations nécessaires à la détermination correcte des impôts, qui doit être appréciée dans le cadre de leurs activités et avec des pratiques conformes aux prix de transfert reposant sur le principe de libre concurrence.
En d’autres termes, Mopani a utilisé des produits dérivés pour rapatrier ses profits de Zambie. Le résultat, suggère le rapport, fut de diminuer de plusieurs centaines de millions de dollars ses revenus sur la période 2003-2008.
La coalition des ONG réclame maintenant que les Points nationaux de contact suisse et canadien qualifient ces agissements de violations des principes de l’OCDE, afin de contraindre les deux géants miniers à rembourser les impôts dus à l’Autorité fiscale zambienne.
Les traces de Glencore dans l’Irak de Saddam Hussein et en Angola
En tant que l’un des plus gros traders de matières premières au monde, Glencore est peut-être habitué à opérer dans un climat de complète impunité. Le groupe a été impliqué dans nombre de scandales, du trafic d’armes avec l’Iran au scandale Pétrole contre nourriture de l’Irak de Saddam Hussein, en passant par l’URSS, le régime de l’Apartheid sud-africain et celui de la guerre civile en Angola. L’entreprise a aussi été couronnée du Public Eye Award de la société la plus irresponsable, à égalité avec Areva.
La société fut d’abord dirigé par le trader Marc Rich, un homme familier des procédures d’évasion fiscale, poursuivi dans son propre pays, les USA. Il a figuré sur la liste des 10 personnes les plus recherchées par le FBI, jusqu’à ce que le président Clinton lui accorde sa grâce, le jour de son départ de la Maison Blanche, en 2000.
Le gouvernement zambien est habitué à ce genre de comportement, sachant pertinemment le poids que la société représente dans une économie fragile. Il y a deux ans, Glencore a menacé le gouvernement d’arrêter l’exploitation de deux mines de cuivre si les prix d’achat n’étaient pas relevé au prix de 5 500$ la tonne.
Ces dernières années, il apparaît clairement que l’évasion fiscale -et non la corruption ou la criminalité- est bien à l’origine du sous-développement, en alourdissant la dette des pays soi-disant sous-développés.
Global Financial Integrity a estimé que le phénomène pourraient représenter, ces dernières décennies, une perte nette de 400 à 440 milliards pour les économies du Sud.
Crédit photo : FlickR CC BreadBreaker ; Tommy Miles ; mm-j.
Image de Une par Elsa Secco @Owni /-)
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