Colère et malaise dans les urnes irlandaises

Mêmes si les élections générales vont bouleverser les rapports de force politiques en Irlande, il y a peu de chance que cela détourne le pays de la dépression économique et sociale.

Sauf mention contraire, tous les liens de cet article sont en anglais.

Les citoyens irlandais votent aujourd’hui 25 février 2011. Une élection différente des précédentes. Depuis que la crise économique a frappé l’Europe en 2008, l’Irlande a des difficultés à maintenir la tête hors de l’eau. Le pays, qui était devenu un modèle à l’échelle européenne, a connu de lourdes pertes financières, au point de devoir nationaliser les dettes insolvables de ses banques. Les Irlandais se rendent aujourd’hui aux urnes pour exprimer leur indignation contre un gouvernement qu’ils estiment irresponsable. Mais la plupart d’entre eux savent aussi qu’il faudra plusieurs années pour combler le trou financier actuel.

La journée d’aujourd’hui est donc non seulement très importante pour les citoyens irlandais, mais aussi pour le reste de l’Europe. Enchainés à l’Irlande par leur monnaie unique, les pays de la zone euro sont responsables des succès et échecs de la mise en place de l’euro. La Grèce fut un premier exemple de la manière dont une monnaie auparavant forte, pouvait vaciller lorsqu’un pays falsifie ses comptes publics. La manière dont le nouveau gouvernement irlandais va gérer la crise économique aura des conséquences sur l’Union Européenne dans son ensemble.

La chute du tigre celtique

Avant 2008, l’Irlande était prospère. Croissance, emploi, et investissements étaient tels que le pays a été surnommé “le tigre celtique”. Dublin était devenue la ville d’accueil de nombreux sièges de multinationales, attirées par la prospérité du pays et par sa très avantageuse fiscalité. Mais le rêve irlandais a pris fin avec la crise des subprimes [fr].

L’histoire n’est que trop banale : les banques investissent trop massivement dans l’immobilier jusqu’à ce que la bulle éclate, et que les États soient contraints de les renflouer pour éviter l’effondrement total de l’économie. La banque Anglo fut la première à vaciller, elle qui avait tenté de cacher 80 millions de prêts douteux. Avec la nationalisation de la banque Anglo pour 34 milliards d’euros, et les recapitalisations des banques AIB et Bank of Ireland, le prix de l’irresponsabilité des banques privées sera payée par le secteur public. C’est à dire les citoyens.

Nouvelle crise, symptômes anciens

Certains États membres de l’Union ont réussi depuis 2008 à rééquilibrer leur économie. Mais celle de l’Irlande continue de se détériorer. Avec un chômage de 13,7%, un déficit de 30% du PIB, et une dette atteignant 97% du PIB, ceux qui ont de l’argent n’ont pas l’intention de laisser fondre leur portefeuilles d’actifs en Irlande. Du coup, une panique bancaire, silencieuse, lente mais non moins terrible, frappe le pays depuis quelques mois. Ceux qui ont les moyens font sortir leurs avoirs du pays pour investir dans des endroits plus stables, minant mécaniquement l’économie du pays. De même, les demandeurs d’emploi n’ont d’autre choix que se tourner vers l’étranger. On estime ainsi à 100.000 le nombre de personnes ayant quitté le pays depuis deux ans. A l’image de la grande famine de 1845-1849 surnommée “potatoe famine”, les Irlandais émigrent aujourd’hui à cause du manque de liquidités. A moindre échelle, évidemment.

En novembre 2010, l’Irlande a dû demander de l’aide à l’Europe. Le 29 novembre, le gouvernement conclut un accord avec l’Union Européenne et le FMI qui débloque un plan de sauvetage sous la forme d’un prêt de 85 milliards d’euros. Ce soutien n’est pas sans contre-partie : le gouvernement irlandais doit poursuivre les réformes pour assainir ses comptes publics, les fonds ne seront disponibles que lorsque l’Irlande aura voté son budget, en 2011 donc.

Ce plan devait rétablir la confiance dans l’économie irlandaise. Mais une fois encore, les investisseurs ne l’entendent pas de cette oreille. La population et les actifs continuant d’émigrer, la banque centrale d’Irlande n’a d’autre solution que de créer de la monnaie pour combler le manque de liquidités bancaires. Ces mesures exceptionnelles sont censées être temporaires, mais montrent combien le secteur bancaire est aujourd’hui faible. Plus récemment encore, on a appris que certaines banques achetaient leurs propres obligations de manière à améliorer (fictivement) leur bilan… et ainsi offrir les garanties requises par la BCE.

Les élections générales : une nouvelle direction pour l’Irlande ?

Pour toutes ces raisons, les élections d’aujourd’hui ont pris une importance bien particulière aux yeux de l’opinion publique. Les partis d’opposition ont appelé les citoyens à “transformer leur colère en action”, et il semble qu’ils soient prêts à le faire. Considéré comme responsable de la situation actuelle, Fianna Fáil, le parti de droite qui a été au pouvoir durant 61 des 79 dernières années, s’attend à prendre une claque historique.

En face, Fine Gael, parti de centre droit, et le Labour Party irlandais vont probablement rafler la mise. L’accord conclu avec l’UE et le FMI étaient au centre de leur campagne. Ils ont promis une renégociation de la dette contractée, à l’image de l’Islande qui revoit encore aujourd’hui les conditions des accords conclus en 2008. Ce scénario islandais peut-il se répéter ? Rien n’est moins sûr… Car alors que les accords islandais concernent une (petite) poignée de milliards, le plan de sauvetage de l’Irlande s’élève, lui, à plus de 80 milliards d’euros.

Même si ces accords sont renégociés, la somme à rembourser n’en sera pas moins gigantesque, constituant près de 43% du PIB irlandais.

Ce qui sera intéressant à analyser ce soir n’est pas nécessairement la future composition du Dáil, le parlement irlandais. Les véritables signaux lancés par les électeurs se trouveront probablement en marge de la victoire, donnée pour acquise, du Labour party et de Fine Gael.

En effet, ces élections sont marquées par une présence inédite des candidats indépendants. Environ 15% des électeurs pourraient ainsi se tourner vers ces candidats “non-alignés”. Parmi eux, le candidat Dylan Haskins, 23 ans, fait figure de symbole de ce qui pourrait constituer une alternative intéressante, ou au moins porteuse d’un espoir devenu rare en Irlande. Son parti, très présent sur Internet, prône des mesures sociales favorables à la jeunesse pour assurer l’avenir du pays. L’émergence de ce type de partis peut s’analyser comme un signal du renouveau à la fois politique et idéologique du pays.

A l’inverse, il faudra également surveiller l’abstention et le parti indépendantiste, le Sinn Féin. Une forte abstention serait le signe d’une défiance accrue des irlandais vis à vis de leurs représentants. De son coté, le score du Sinn Féin (crédité de 10% des intentions de votes avant le suffrage), pourrait caractériser un durcissement de l’amertume d’une partie des irlandais. Le parti a en effet annoncé son intention de demander purement et simplement l’annulation de la dette du pays. Ces deux facteurs pourraient donc présager une évolution de la situation à l’image de celle de la Grèce : un durcissement de l’opinion publique et une montée potentielle de la violence.

Crédits Photo FlickR CC European Parliament ; Jonathan Davis ; William Murphy

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