Culture porn japonaise : 4Chan se frotte au Hentai

Le 14 février 2011

4CHAN compte 5 boards dédiés au Hentai ou manga pornographique. Depuis les estampes d'Hokusai au 19ème siècle, le dessin Hentai s'est incarné sur 4Chan. Détour du côté des genres étranges, Futanari, Bakunyuu et Shokushu. Entrez vite !

Quand on lit les articles consacrés à 4 chan, y compris ceux publiés sur ce blog, on pourrait croire que ce site de partage d’images ne présente guère d’intérêt que par son célèbre board /b/. Cependant, si /b/ est bien le groupe le plus populaire et génère une grande partie du trafic de 4chan, la plate-forme demeure comme elle l’était à son origine un moyen actif d’échange et de discussion sur les mangas et animes japonais ainsi que sur l’ensemble de la culture populaire associée à ces productions graphiques. Il existe ainsi plusieurs boards regroupés sous le titre Japanese Culture qui ne sont d’ailleurs pas tous dédiés à l’échange de mangas. Ainsi, le groupe Cosplay & EGL (Elegant Gothic Lolita) est destiné aux discussions et images de jeux costumés sur les personnages de mangas.

Avertissement: le texte qui suit décrit de manière explicite certaines productions pornographiques dessinées ou enregistrées (photos, films) et contient plusieurs liens vers des images réservées à un public adulte (NSWF comme on dit en argot Internet).1

Parmi les groupes réservés aux adultes, 4chan en propose 5 dédiés au hentai, c’est-à-dire aux mangas et animations à caractère pornographique: un board Hentai générique, Ecchi (plutôt érotique, non explicite et considéré comme la version soft du hentai), Yaoi (homosexualité masculine), Yuri (homosexualité féminine) et enfin Hentai/alternative. Ce dernier board regroupe les personnages les plus étranges parmi lesquels nous nous intéresserons ici uniquement au Futanari (figure féminine ayant un pénis masculin démesuré et capable d’éjaculations niagaresques), au Bakunyuu (figure féminine dotée de seins gigantesques et prolifiques) et enfin au genre Shokushu ou Tentacle représentant des monstres lubriques dotés de tentacules et dont l’origine remonte peut-être à un célèbre dessin d’Hokusai.

Tako to ama (Le poulpe et la chasseuse de perles, plus connu sous le titre: Le rêve de la femme du pêcheur), Hokusai vers 1820

Cette description rapide des certaines formes de hentai ne prétend pas être exhaustive ni même très précise. Elle reprend simplement une typologie couramment utilisée sur les multiples sites et blogs spécialisés. Ainsi, le site d’imageboards pornographiques fapchan [sic], dédié à la fois aux photos et aux dessins, utilise deux catégorisations distinctes pour chacun de ces types d’images et reprend une nomenclature hentai pour les dessins. Les catégories et sous-catégories du genre hentai sont cependant bien plus compliquées que cet aperçu, et pour en savoir plus, on lira avec intérêt l’excellent article A Short History of Hentai par Marc McLelland, les billets consacrés au japorn sur Le Tag Parfait (le site de la « culture porn »), ou bien encore cette liste de termes de hentai. Toutes les associations et mutations entre ces propositions graphiques sont aussi représentées, et le lecteur plus audacieux peut aussi consulter quelques sites: ici (en français), ou et (en anglais).

Si l’on se tourne maintenant du côté des sites probablement plus connus qui diffusent des contenus pornographiques enregistrés (photos ou vidéos), on constate par contre qu’ils ne proposent guère, dans le meilleur des cas, qu’une seule catégorie fourre-tout pour le hentai alors que leurs typologies des contenus non dessinés sont bien plus élaborées – cf. par exemple ces différents tubes: ici, ici, ici, ou ; l’un des plus connus ignore même totalement le hentai.

On constate donc une ligne de partage assez nette entre le hentai qui dispose de ses canaux internet spécifiques et la pornographie habituelle, proposant des contenus enregistrés, qui ne s’est pas encore véritablement approprié les productions dont nous parlons. Ceci reflète très certainement un clivage entre deux publics bien distincts.

Le hentai incarné

Le hentai utilise toute la palette des médias modernes: animations, dessins, jeux vidéos (eroge), Second Life, montages photoshops, etc. Il existe aussi certaines adaptations soi-disant cosplay, c’est-à-dire jouées par des femmes et des hommes (plus rarement) vaguement déguisés selon les productions graphiques de référence. À vrai dire, la dénomination cosplay semble dans ce cas usurpée puisque ces adaptations, qui relèvent de facto de la pornographie enregistrée (photo ou vidéo), mettent en scène des actrices et acteurs rémunérés (probablement des professionnels de l’industrie pornographique dans la plupart des cas).

Eroge

Ces transpositions photographiques ou vidéos d’univers dessinés, ces hentais incarnés, ne peuvent être réalisées qu’à partir de certains types d’images dessinées qui ne soient pas trop invraisemblables (exemples ici, ici, , ). Les genres ecchi, yaoi et yuri en particulier se prêtent mieux à ces adaptations que des hentai particulièrement extravagants où la figuration humaine serait impossible, sauf à utiliser de très coûteux effets numériques incompatibles avec la rentabilité à court terme recherchée par l’industrie pornographique. Les genres tentacle et futanari en particulier n’échappent pas aux inventions graphiques improbables dont l’adaptation avec des êtres humains reste inaccessible et surtout non rentable (voir respectivement ici et ).

Les versions dessinées et photographiques du hentai sont très souvent diffusées sur des supports internet distincts. Elles semblent s’adresser à différents publics, un peu comme si chacun de ces média générait un univers fantasmatique autonome. Les hentais dessinés et les hentais incarnés se côtoient mais ne se mélangent pas vraiment. Ainsi, il n’est pas bien vu de publier des versions photographiques sur les groupes mangas de 4chan; on s’expose alors à des commentaires désobligeants. Et pour le genre futanari, le site fapchan dont nous avons déjà parlé distingue soigneusement deux boards, drawn futanari d’une part et dickgirls, trans et photoshopped d’autre part.

Les productions de hentai incarnés les plus extravagantes sont pratiquement toutes nippones et mettent en scène des actrices et acteurs japonais. Pour nombre d’entre elles, disons-le franchement, elles semblent véritablement grotesques et même un peu perturbantes pour un public non japonais. Le genre tentacle en particulier parait être totalement autochtone et n’a apparemment jamais intéressé l’industrie pornographique occidentale (lire aussi ce billet sur Le Tag Parfait).

Futanaria et Mastasia

L’incarnation du futanari a d’abord été effectuée de manière basique sous la forme de fakes, d’images photoshoppées (ici, ici, ). Le procédé a même reçu le nom de futinization.

Les progrès réalisés par les équipementiers spécialisés ont ensuite permis l’apparition de vidéos qui mettent en scène des actrices grimées en futanari. Futanaria est le site commercial le plus connu proposant ce type de matériel graphique; plusieurs de ses productions sont disponibles sur différents tubes, par exemple ici, ici et .

Futanaria existe depuis 2008. Le site commercialise actuellement plus de 70 clips vidéos qui mettent en scène une trentaine de modèles dont l’accoutrement rappelle le cosplay hentai. Un site associé, Mastasia, propose également des clips inspiré du bakunyuu.

Ces courtes vidéos constituent de rares exemples d’adaptations de hentai réalisées par l’industrie pornographique occidentale. Les codes les plus évidents des genres dont elles s’inspirent sont respectés: engins démesurés et sécrétions démentielles, mises en scènes très approximatives, habillements stéréotypés et couleurs vives, absence de décors dans des intérieurs unis qui rappellent les aplats du dessin, cohérence des personnages d’une scène à une autre (les modèles disposent toujours du même équipement pneumatique personnalisé). Aucun « bêtisier » ou bonus n’est proposé, comme pour laisser croire qu’il s’agit de scènes tournées sans trucages. L’objectif est de rendre crédibles ces personnages et leurs activités improbables. Pourtant, l’artifice est manifeste non seulement dans les proportions des ustensiles employés mais aussi dans leur irréalité. Leur taille en effet ne varie pas au fur et à mesure de la progression de la scène vers l’acmé prolifique. Les mutations et croisements sont aussi au rendez-vous et quelques dispositifs à double pénis ou associations futanari+bakunyuu figurent aussi dans ces propositions filmiques.

Les amateurs de hentai dessinés sont partagés envers ces adaptations: ils apprécient ou détestent franchement.

À la différence d’autres adaptations de hentai au monde réel, comme pour le genre tentacle évoqué plus haut, les performeuses de ces sites ne sont pas japonaises mais représentent la variété de la société américaine – les modèles sont blanches, noires, métis, latinas, asiatiques.

L’appropriation occidentale de la porn culture japonaise

Dans un récent billet, André Gunthert compare quelques rares images fixes du prochain film de Spielberg sur les aventures de Tintin avec leurs modèles chez Hergé. Il aborde brièvement les conditions du succès de l’adaptation au cinéma d’une bande dessinée et conclut qu’ « un bon film est d’abord une proposition d’imagerie qui convainc en dehors de tout référent ».

Débarrassé de toute connotation esthétique, de toute allusion à ce que peut être un “bon” film et aux moyens mis en œuvre pour parvenir à une adaptation accomplie, ce sont ces concepts d’imagerie convaincante et de référent que l’on retrouve en fait à propos de la transposition du hentai en vidéo.

Le hentai incarné oscille entre fake et réalité. Certains genres demeurent essentiellement japonais (tentacle) tandis que d’autres ont réussi une migration et ont été adaptés au public occidental par l’industrie pornographique (futanari, bakunyuu). Ces adaptations peuvent fonctionner avec un référent ténu et même imperceptible pour le spectateur qui découvrirait ces productions sans connaître leurs modèles dessinés.
La récupération par l’industrie pornographique devient possible et commercialement rentable parce qu’elle a été précédée par une appropriation de certaines variantes bien spécifiques du hentai qui apparaissent comme des extrapolations de catégories « classiques » bien connues du spectateur habituel. Exprimé de manière triviale, Futanaria c’est du shemale++ et Mastasia du bigboobs++.

L’imagerie proposée ne convainc peut-être pas vraiment, mais elle fonctionne, elle est efficace selon le seul critère qui compte dans ce secteur, rappelé par l’illustration 4chan de l’adage The Internet is for porn. Elle s’insère dans une catégorisation bien établie, créant ainsi les conditions de l’adoption de nouveaux référents. Nous assistons bien ici à une récupération de certaines formes spécifiques de la porn culture japonaise par une industrie capable d’en proposer des variantes recevables sur son marché.

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Publié initialement sur le blog Déjà Vu-Culture Visuelle, sous le titre : Dessins incarnés, le cas du Hentai
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Crédits photos : Via Wikimedia Commons [Domaine Public] par Hokusai : The dream of the fisherman’s wife et Shunga-Masturbation-Voyeurisme ; Via Flickr en cc-by-nc-sa : Persocomholic ; Knowyourmeme

Photo de Une Marion Kotlarski, CC pour OWNI :

  1. ndlr/suite : Bien que publié sur une plate-forme dédiée aux études visuelles, j’ai choisi délibérément de ne pas illustrer ce billet – à l’exception d’une estampe de Hokusai qui bénéficie de l’alibi culturel – et le lecteur averti devra volontairement cliquer sur les liens proposés afin de vérifier s’il le souhaite les observations ici rapportées. []

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