Copier, couper, coudre: un procédé bientôt démodé aux États-Unis?

Le 30 septembre 2010

Un sénateur américain a introduit une proposition de loi devant le Sénat pour que les produits de la mode bénéficient de la protection du copyright, le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis.

Un sénateur américain, Charles Schumer, a introduit en août dernier une proposition de loi devant le Sénat américain, l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act (IDPPPA), qui donnerait aux produits de la mode la protection du copyright, le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. À ce jour, ni les vêtements, ni les accessoires de mode ne sont protégés par le copyright, même s’ils bénéficient de quelques protections légales.

Les produits de la mode ne sont guère protégés par le droit de la propriété intellectuelle des États-Unis. Les créateurs de mode utilisent parfois le droit des marques des États-Unis, trademark law, pour protéger leurs créations. Ce droit reconnait un droit de protection de la trade dress, c’est-à-dire le packaging ou le design du produit. Les juges requièrent néanmoins que soit prouvée l’existence d’un secondary meaning : il faut que, dans l’esprit du public, le design du produit identifie la source du produit, c’est-à-dire la marque de la robe ou bien du sac. Marc Jacob a ainsi poursuivi en justice Christian Audigier au début de cette année, en invoquant la contrefaçon de la trade dress d’un de ses sacs par un sac de son concurrent.

Le droit des brevets, patent law, peut protéger en théorie les produits de la mode, mais la barre est haute à franchir, car seules les inventions peuvent être protégées par ce droit. On n’invente pas le fait de placer un col rond à paillettes sur un pull bleu, mais on peut inventer un procédé de coupe révolutionnaire, ou le tissu permettant de passer à travers les murailles. À noter, les motifs des tissus sont protégés par le copyright.

Quelles sont les créations protégées par le copyright ?

Le droit fédéral du copyright, codifié par le Titre 17 du Code des États-Unis, l’U.S. Copyright Act, protège les œuvres originales fixées dans une forme d’expression tangible (tangible form of expression). Une œuvre est considérée originale si elle est le fruit d’un minimum de créativité (modicum of creativity). En revanche, les œuvres utiles ne sont pas protégées puisque, au contraire du droit français, les États-Unis ne reconnaissent pas la théorie de l’unité de l’art, selon laquelle les œuvres sont protégées quel que soit leur mérite artistique, et ce même si elles ont un caractère utilitaire. Or les produits de la mode, vêtements et accessoires, ont une utilité certaine, que ce soit pour aider à la régulation de notre température interne ou la protection de notre pudeur.

Pas de protection par le copyright des créations utilitaires

Le Copyright Act définit un article utilitaire comme « un objet ayant une fonction intrinsèque utilitaire qui n’est pas seulement de dépeindre l’aspect de l’article ou de transmettre des informations». Plus simplement, la fonction utilitaire ne doit pas être exclusivement esthétique ou informationnelle. Certains aspects purement esthétiques de l’article peuvent néanmoins être protégés par le copyright. Une boucle de ceinture et un masque de carnaval se sont ainsi vu reconnaitre la protection du copyright. Les juges ont reconnu dans ces deux cas que le dessin, le design, de l’article était indépendant de sa fonction utilitaire, car il pouvait être identifié séparément, ou bien exister séparément de l’aspect utilitaire de l’article. Cette théorie a pour effet de permettre la protection par le copyright de la forme originale d’un nÅ“ud cousu sur la robe, mais non de la robe elle-même. Less is (not) more.

Une exception : la protection des coques de bateau par le copyright

Le copyright protège néanmoins depuis 1998 la coque des bateaux, Å“uvre utilitaire s’il en est ! Le Vessel Hull Design Protection Act a introduit dans le Copyright Act un chapitre 13, qui reconnait au styliste (designer) ou tout autre propriétaire d’un dessin original (original design) d’une coque de bateau, dont l’originalité rend l’article utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public, le droit de voir ce dessin original protégé durant dix années par le copyright. La protection n’est pas automatique, et le dessin original doit être enregistré auprès de l’U.S. Copyright Office dans les deux ans suivant leur première publication. Le Copyright Office considère d’ailleurs que la protection des coques des bateaux par le droit est un droit sui generis, un droit indépendant distinct du copyright.
Il suffirait de modifier quelque peu le chapitre 13 pour reconnaitre le droit à être protégé par le copyright à tous les dessins originaux pour peu qu’ils rendent un objet utilitaire attrayant ou d’apparence distincte pour le public. Cette définition englobe certainement les vêtements et accessoires de mode.

Une première atteinte en 2006 de protéger les produits de la mode par le copyright

Charles Schumer avait déjà introduit devant le Sénat en 2007 le Design Piracy Prohibition Act (DPPA), introduit dès 2006 devant la Chambre des représentants. Le DPPA proposait d’amender le chapitre 13 afin de protéger les produits de la mode durant trois années, à condition toutefois de les enregistrer auprès de l’U.S. Copyright Office dans les trois mois suivant leur première publication.
Le DPPA ne fût pas voté, en particulier parce que cette proposition de loi n’avait pas le soutien de l’ensemble des professionnels de la mode. Si le Council of Fashion Designers of America (CFDA) soutenait la proposition de loi, en revanche l’American Apparel and Footwear Association (AAFA) était contre, par crainte que cette loi incite des procès frivoles : « Tu m’as copié ! Non, c’est toi qui m’as copié ! » L’IDPPA a, en revanche, le soutien de l’AAFA et du CFDA.

Ce que propose l’Innovative Design Protection and Piracy Prevention Act de 2010

L’IDPPPA propose également d’amender le chapitre 13 du Copyright Act, mais élimine l’obligation d’enregistrement auprès du Copyright Office. En outre, la loi ne protègerait que les modèles originaux. Pour être original, un modèle devra inclure des éléments originaux, ou bien une manière originale de placer des éléments, qu’ils soient originaux ou non, dans l’apparence générale du modèle. Le modèle devra être le résultat de l’effort créatif du designer et devra « fournir une variation non négligeable et non utilitaire par rapport aux conceptions antérieures pour le même type d’articles » (« provide a unique, distinguishable, non-trivial and non-utilitarian variation over prior designs for similar types of articles »). En d’autres termes, une simple variation sur un thème ne sera pas protégée.
Un styliste ou un couturier souhaitant poursuivre en justice un copieur pour contrefaçon devra prouver que son modèle est protégé par le copyright et que le défendeur au procès a copié son modèle. L’IDPPA définit une copie comme un modèle « substantiellement identique dans son apparence visuelle globale aux éléments d’origine d’un dessin ou modèle protégé ». Le plaignant devra en outre prouver que le dessin ou le modèle protégé, ou bien une image de celui-ci, était disponible dans un ou plusieurs endroits, de telle manière, et pour une durée telle, que l’on peut raisonnablement déduire de l’ensemble des faits et des circonstances que le contrefacteur l’a vu ou en a eu connaissance.
L’IDPPPA contient une exception pour les couturiers et couturières à domicile : il leur sera possible de reproduire à un seul exemplaire un modèle original pour leur usage personnel, ou l’usage personnel d’un membre proche de la famille. De plus, les modèles créés avant la promulgation de la loi feront partie du domaine public.

Est-ce une bonne idée de protéger les créations de la mode par le copyright ?

Les opposants au projet de loi argumentent que protéger les créations de la mode aurait des conséquences négatives pour l’industrie de la mode. Selon eux, pouvoir copier librement serait au contraire bénéfique pour cette industrie. Deux auteurs, les professeurs de droit Kal Raustiala et Christopher Sprigman, sont opposés à la proposition de loi. Ils avaient soutenu dans un article publié en 2006 qu’il existe un piracy paradox : l’industrie de la mode profite paradoxalement du copiage effréné des créations de modes grâce à l’absence de protection de ses créations par le copyright. Le cycle des produits de la mode est court, et la copie encourage le renouvellement nécessaire aux couturiers et aux créateurs, qui présentent au moins deux collections par saison. Les clients suivent : adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré. Nous n’avons plus rien à nous mettre à chaque début de saison, et l’industrie de la mode en bénéficie.
À suivre cet automne, pour apprendre si la proposition de loi est votée par le Congrès américain.

Images CC Flickr hexodus…, flatworldsedge et charliestyr

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