Comment l’UMP utilise le troll politique pour accaparer le débat
Indignité, brouhaha, hors sujet... Du Luxembourg aux retraites, l'UMP rivalise de ce qui apparaît comme de la maladresse politique. Stratégiquement, cette agitation se révèle un puissant outil par lequel Nicolas Sarkozy s'accapare tout le discours politique pour imposer son programme.
Nicolas Sarkozy doit beaucoup à Léon Zitrone. A une maxime surtout : « Qu’on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L’essentiel, c’est qu’on parle de moi ! » Une leçon d’homme de télévision assimilée par le Président de la République comme une leçon de communication : dans une société du bruit médiatique, gueuler le plus fort est ce qui compte, quitte à dire n’importe quoi. A ceci prêt que ce « n’importe quoi » doit être assez efficacement conçu pour marquer les esprits dans le sens où la politique veut les mener.
Depuis la rentrée, le gouvernement a déployé un arsenal de communication prodigieux pour occuper tout l’espace médiatique, couvrant de ses déclarations fracassantes ou édifiantes les moindres mots de mise en garde ou d’indignation de l’opposition, des syndicats ou des penseurs qui se débattent à pointer ce qui a été défait par la « rupture ». Et ce simple fait marque la force d’un gouvernement sûr de lui : en 2007, c’est en remportant la bataille du discours que Nicolas Sarkozy a marqué les esprits. Sur chaque sujet, ses concurrents, à commencer par Ségolène Royal, ne faisaient que s’aligner, réagir dans le débat lancé par l’UMP. La plus grande défaite de la gauche ayant été de voir sa « vie chère » recallée par le « pouvoir d’achat » du programme de la droite.
Cette rentrée, la dernière avant le début de la campagne, marque une accélération dans un accaparement du débat qui, à première vue, ressemble à un troll massif de l’agora médiatique. Mais dont les effets de manche consistent surtout en trois techniques redoutables maquillée en grossièreté politique.
La mithridatisation ou « les sourds préfèrent qu’on leur parle doucement »
En déclarant qu’il aurait préféré que « le Luxembourg n’existe pas », après la critique de Viviane Reding sur la politique de la France envers les Roms, le sénateur Philippe Marini a battu des records d’indignité. Ses déclarations étaient jugées par le ministre des Affaires étrangères du Grand Duché « du même niveau que les discours de Mahmoud Ahmdinejad ». Remarquable en effet.
Car, en fixant la barre aussi haut dans la violence verbale, toute proposition un cran au dessous est considérée comme « relativement raisonnable ». De quoi couper l’herbe sous le pied de tout parti d’opposition qui, à moins de vouloir rentrer dans un concours se retrouve le souffle coupé au premier round. En lançant des projets de loi absurdes ou honteux, le même Philippe Marini avait opéré un joli coup en décembre 2008 : proposant de déduire des impôts les pertes de ceux qui avaient joué en Bourse et perdu avec la crise, il avait été déboutté… Permettant au gouvernement de jouer les redresseurs de tort en ne faisant que corriger l’un des siens !
Durant toute la passe d’arme qui a opposé la France à l’Union européenne, la méthode a fait florès : de Jean-François Copé à  Chantal Brunel, la majorité s’est arrogé le droit de s’en prendre frontalement aux institutions, aux États membres, etc. Devant quoi l’opposition ne pouvait que s’indigner. Las, l’indignation est une posture passive : l’UMP restait à l’initiative et au premier plan à l’écran.
L’internalisation du débat ou « je suis content que nous ayons cette discussion au sein de l’UMP »
Pas de mérite à relever cette technique : c’est Xavier Bertand lui-même qui a vendu la mèche sur France inter lundi 20 septembre. Le week-end entier avait été animé du débat suscité par les propositions de Brice Hortefeux pour réformer la justice, notamment l’instauration de jurys populaires et l’élection des juges. Cacophonie dans la majorité : Gérard Larcher et François Fillon se déclarent contre le principe d’élection, Michèle Alliot-Marie déclare avoir ses idées (encore heureux, c’est elle la ministre de la Justice…). Bonhomme, Xavier Bertrand se félicite de l’ambiance : « qui fait vivre ce débat ? Notre famille politique et la majorité, moi je m’en réjouis. »
Car en gardant en son sein toute la palette des options sur un sujet ou un autre, l’UMP coupe encore une fois l’herbe sous le pied de l’opposition. Vous êtes pour l’élection des juges ? Hortefeux aussi ! Vous êtes contre ? Ah, comme François Fillon alors ! Une fois le sujet imposé, l’Élysée pose chacun de ses pions sur une case avant de prendre sa décision : la place est prise, la gauche n’a plus qu’à réagir. L’UMP conserve la main.
Le hors sujet ou « la cuisine est sale mais j’ai balayé le couloir »
Les syndicats ne pourront pas dire que le gouvernement ne veut pas négocier. Certes, il refuse catégoriquement de toucher à la retraite à 62 ans et au taux plein à 67 mais il propose autre chose. En page 4 du Parisien du 21 septembre (J -2 de la deuxième mobilisation), le titre de l’interview d’Eric Woerth est clair : « Retraite : « nous allons proposer de nouveaux amendements ». » Il faut pousser à la fin du paragraphe de présentation pour apprendre que le ministre du Travail considère que « les mesures d’âges de 62 et 67 ans ne sont pas négociables ». La tête de page est passé, les gazettes pourront annoncer « Woerth prêt à des aménagements sur les retraites », le hors sujet est passé.
Et, dans ce « hors sujet » là , ce n’est pas l’élève qui est jugé mais le prof : en montrant cette fausse souplesse (on apprend en troisième colonne d’interview que Woerth ne compte pas égratigner les hauts revenus), le ministre fait passer ses critiques, les syndicats et l’opposition, pour des pinailleurs, des obsessionnels… Pire : pour des capricieux qui risquent de laisser passer l’occasion d’améliorer le sort d’une part marginale de la population. Au final, ces « amendements » ne seront peut-être même pas adoptés en séance. Mais qu’importe : syndicats et oppositions ne pourront pas dire que le gouvernement n’a rien proposé. L’UMP garde la main.
Combinées, toutes ces techniques ne donnent pas au gouvernement la capacité de « gagner » le débat sur les retraites. Ils lui donnent simplement la main sur le fameux débat, s’assurant qu’aucune déclaration de l’opinion, aucune réaction des syndicats ne sortira du cadre qu’il a défini. Que ce soit pour critiquer ou soutenir, toutes les propositions faites dans le débat sur la réforme des retraites se réfèrent à un membre de la majorité. En bien, en mal, peu importe : l’important, c’est qu’on parle d’eux.
Crédit photo : altemark,Martin Kingsley
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