OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 De la datalittérature dans le 9-3 http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/ http://owni.fr/2011/03/18/de-la-datalitterature-dans-le-9-3/#comments Fri, 18 Mar 2011 07:30:53 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=51722

Traque traces, c’est l’histoire d’une énarque atypique qui quitte son loft bobo par passion de la littérature pour proposer un projet de résidence d’écrivain dans un lycée « difficile » du 93 classé site d’excellence. Elle tombe sur un proviseur qui lui dit banco tout de suite, de ceux qui ne s’embarrassent pas des lourdeurs administratives.

L’idée : faire des ateliers d’écriture pendant un an sur  « cette nouvelle écriture du monde et des individus basée sur les données » dans une classe de terminale STG (sciences et technologies de la gestion) sage comme tout, pas le genre à envoyer un professeur à l’hôpital pour dépression nerveuse. Les ados sont si enthousiasmés qu’ils se prennent de passion pour l’écriture, avec une appétence particulière pour son évolution numérique, et regardent maintenant leur carte Navigo RFIDéisé d’un œil suspicieux.

Tout est vrai, sauf la chute.
Cécile Portier est effectivement déléguée adjointe à la diffusion culturelle de la BNF, ce qui ne l’empêche pas de manger ses mots, des mots parfois pas très catholiques. Également écrivain, elle s’est mise en disposition du ministère de la Culture après avoir obtenu une bourse de la région Île-de-France pour aller à Aubervilliers au lycée Henri Wallon.

Elle a bien reçu un accueil enthousiaste de Mme Berthot, 1,80 m et un charisme à finir en personnage de téléfilm sur le service public. On rajoutera Arnaud, professeur principal de cette classe, qui a endossé le rôle nécessaire du garde-chiourme, au grand soulagement de Cécile et de son physique frêle, pas vraiment une voix de stentor,  « madame, on comprend pas toujours ce que vous dites… »

Depuis début octobre, à raison d’un atelier de deux heures toutes les deux semaines, elle leur fait écrire une fiction « cette écriture sans mots mais qui sont parfois transcrits en images », ces statistiques dont notre système actuel est si gourmand, comme un pied de nez à la « dataïsation » de nos vies. Mais il n’y a pas de miracle. Cécile n’en attendait pas d’ailleurs. Ce projet est juste une fenêtre ouverte, une alternative pédagogique aux cours de français classiques aux « bénéfices » difficilement quantifiables. Et tant pis pour la logique du chiffre qui règne à l’école, et à laquelle nous pouvons difficilement échapper dans nos sociétés. L’essentiel ici étant de prendre le recul nécessaire à la compréhension et de ne laisser personne d’autre écrire sa propre histoire.

Cécile Portier

« Tu t’appelles comment ? »

« Ici ou là-bas ? »

Outre l’ambition de la réflexion digne d’Hasan Elahi, cet artiste qui détourne la logique du life-logging, la difficulté provient de la construction de la fiction : elle se construit séance après séance. En cette mi-mars, les élèves commencent seulement à appréhender cet univers qu’ils élaborent. Le site qui lui donne corps est en ligne depuis un mois et les élèves ne l’ont pas vraiment mis dans leurs favoris. La séance de ce mardi va les aider à rendre plus tangibles les liens entre les personnages.

Cécile lance la consigne : « Votre personnage va écrire une lettre à un autre, en fonction des relations que vous avez nouées. » « Tu t’appelles comment ? », demande-t-on alors à une élève. « Ici ou là-bas ?, interroge la jeune fille. Ici, c’est Myriam, là-bas, c’est Mohamed, je suis vendeur dans un magasin d’informatique. »

Car chaque élève s’est inventé un double, en se basant sur ces fameuses données. « La construction des personnages s’est faite comme un jeu sous contrainte. On a introduit des vraies données dans la machine, on les a passées dans la moulinette du hasard, et on a regardé ce qui ressortait. Pourquoi faire cela: pour réintroduire ce qui fait tant peur au système de description du monde par des données : l’incertitude. Pour réintroduire de la fluidité dans un monde trop solide, découpable en tranches seulement. »

En guise d’approche, à la rentrée, Cécile leur avait raconté le Voyage des Princes de Sérendip, qui a donné son nom à la sérendipité :

- parce qu’il parle de traces laissées, et nous en laissons tous

- parce qu’il célèbre l’esprit d’enquête, et en même temps s’amuse de lui ; et certainement que nous avons à chercher, sérieusement, mais sans esprit de sérieux, car le pouvoir de l’interprétation est immense, et donc possiblement dangereux

- parce qu’il parle aussi de hasard et de chance, et sans cela on ne s’amuserait pas beaucoup

Ceci posé, on pouvait commencer à s’intéresser à nos propres traces…

Ensuite, chacun s’était assigné une résidence, non pas en fonction de l’ensoleillement ou de la proximité avec la mer, mais selon des coordonnées GPS délimitant un périmètre de quelques km2 autour d’Aubervilliers, visible bien entendu sur Google Earth ou Street View.

Même principe pour le nom, « attribué au hasard parmi les 100 patronymes les plus répandus dans le département de la Seine-Saint-Denis : de Martin, 1404 occurrences, à Leblanc, 155 occurrences, en passant par Coulibaly, 435 occurrences, la date de naissance : seulement le résultat de la loterie, fonction random number sur Excel.

Le prénom, lui, a été choisi, parmi les 10 plus fréquents dans le département 93, lors de l’année de naissance du personnage. » De même, les visages ont la froideur mathématique d’un portrait-robot car ils résultent de « la somme des mensurations que nous pouvons exercer sur eux », ça donne « des gueules de suspects », privées de « ce qui nous dessine sans nous tracer ».

Les personnages posés, tagués, il ne restait plus qu’à raconter des histoires autour d’eux pour mettre en vie cette « infratopie ». Avec toujours cette arrière-pensée politique : Cécile leur a ainsi demandé de faire raconter à un personnage de fiction un secret en réécrivant sur leur propre vécu, pour pointer cette « idéologie du rien à cacher, présente aussi dans notre entre-regard, cette philosophie de l’espionnage. » Et le graphe social de se dessiner de récit en récit, d’atelier en atelier :

Des relations souvent conflictuelles, « plus que ce que je ne pensais », explique Cécile, que la séance de ce mardi va tenter d’adoucir par la communication épistolaire. À ce détail près qu’en guise de bloc de feuille, c’est sur un antique ordinateur avec écran à tube cathodique que chaque élève va taper sa lettre. Au moins, la connexion marche. Ali, enfin pardon Fatima Coulibaly tire un peu la langue : que raconter à Tony de Oliveira ? Il se renseigne sur les événements qui les unissent via le site, ça vient : « je commence à avoir une idée pour la fin… tragique, ça a commencé mal pour elle », justifie-t-il : la pauvre Fatima est veuve, son mari a été assassiné. Ali s’attelle à la tâche, il fourmille d’idées à la fin, lui qui n’écrit jamais d’ordinaire : « on s’amuse plus qu’en cours de français, on n’est pas obligé de suivre un programme, on écrit. », explique-t-il timidement. Des vertus du ludique pour débloquer…

Fatima la veuve recevra quant à elle une lettre de David Leroy, directeur d’une société de surveillance, Kazeem dans la « vraie » vie. « Fatima, elle est pas intéressante ! », s’écrit le jeune garçon. En se creusant la tête, il finira par rédiger une missive où David Leroy essaye de convaincre Fatima d’investir dans des caméras pour se protéger, histoire de ne pas finir comme feu son mari. L’exercice ne lui déplait pas : « ça nous entraine à faire de l’écriture, à inventer de la fiction à partir de la réalité. » « Tout ce qu’on fait montre ce que l’on est, poursuit William/Chakib. Par exemple, en début d’année, nous avons vidé notre sac pour savoir ce que l’on est. »

Quand on lui demande ce qu’il pense de cet atelier par rapport aux cours de français, la réponse jaillit : « Oh c’est mieux ! C’est plus nous mêmes, on a créé des personnages. » Et mine de rien, le message est passé : son personnage, fumeur qui vient de se rendre compte qu’il est addict à la clope, écrit une lettre à un pharmacien pour lui demander des conseils pour arrêter. Il a glissé dedans des données bien flippantes sur la cigarette : « Et suite à un calcul que j’ai fait j’ai calculé que j’ai fumé 142350 cigarettes et que d’après des chercheurs anglais j’aurai déjà perdu environ 1088 jour dans ma vie. »

Une plus grande capacité à écrire

Le bilan, puisqu’il faut bien le dresser, n’en déplaise aux fans du management par l’accountability, ne passe par des chiffres bien carrés. C’est ce que vont expliquer Cécile, Arnaud et les élèves lors du débat auxquels ils participent ce vendredi matin au Salon du livre. À la fin de la séance de mardi, ils en ont discuté avec les élèves qui présenteront le projet, enfin, s’ils se lancent…

«Faut-il plus d’artistes dans les établissements ? La réponse vous appartient. Qu’est-ce que cela vous a apporté ? », interroge Cécile. « On se dévoile à travers nos personnages », avance Myriam. « Je suis super contente d’entendre ça ! », réagit Cécile. Arnaud avance des arguments : « Votre professeur de philosophie a remarqué que vous aviez une plus grande capacité à écrire, vous avez moins d’appréhension. C’est difficile à jauger pour nous-mêmes. »

Avoir plus de confiance, ça n’est pas « directement » utile pour le bac, mais c’est un atout. Et la confiance pour ces élèves, ce n’est pas une évidence : « On ne vous demande pas de faire un exposé en un quart d’heure vendredi, ne stressez pas ! »

Elen, look artiste soigné, gilet-chemise rayée, a pourtant peur « de ne pas savoir enchaîner ». « Il y aura un journaliste pour animer le débat, il vous aidera à rebondir, et d’autres lycéens vont réagir… » « Madame, vous ferez la présentation ? », Myriam retente le coup.

« Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas… » Le mantra est martelé. Et pourquoi ne se jetteraient-ils pas dans l’arène ? Certes, ils n’ont pas dépassé le stade de l’écriture narrative, certes la dimension politique du projet leur a échappé pour l’essentiel, certes les textes sont encore truffés de faute, mais ces élèves « paniqués par la consigne au début» ont fini par « s’échapper ».

Ne stressez pas, ne vous autocensurez pas…

Le site Traque traces

Le blog de Cécile Portier


Reportage réalisé le mardi 15 mars 2011 au lycée Henri Wallon d’Aubervilliers
Texte : Sabine Blanc
Photos : Ophelia Noor [CC-by-nc-sa]

> Vous pouvez retrouver tous les articles de la Une : Livre numérique: quand les auteurs s’en mêlent, Le papier contre le numérique et Ce qu’Internet a changé dans le travail (et la vie) des écrivains

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Hasan Elahi: un homme sur sousveillance http://owni.fr/2010/10/15/hasan-elahi-un-homme-sur-sousveillance/ http://owni.fr/2010/10/15/hasan-elahi-un-homme-sur-sousveillance/#comments Fri, 15 Oct 2010 16:33:32 +0000 Stéphanie Vidal http://owni.fr/?p=31790

Le life-logging – pratique consistant à capturer grâce à des moyens numériques l’ensemble ou une grande partie de sa vie – se décline sous autant de formes qu’il y a d’individus pour s’en emparer et de motivations pour l’employer. Pour Hasan Elahi, cette méthode relève à la fois de la pratique artistique, de l’expression contestataire et de l’alibi permanent. Elle lui assure de pouvoir continuer à circuler librement, la main sur le déclencheur de l’appareil photo de son smartphone, plutôt que de croupir en combinaison orange, entravé par des chaines dans un centre de détention de l’armée américaine. Click.

Garde-meubles et garde-frontières

Hasan Elahi est un artiste conceptuel qui enseigne actuellement les arts plastiques à l’université du Maryland. Ses œuvres sont souvent sérielles et toujours en rapport avec la lumière et l’image. Elles s’articulent autour des traumatismes de l’Histoire et de l’Humanité dont les outrages sont figurés par des lieux à la symbolique puissante. Dans son film Gorée Island Remix (2003), l’esclavagisme prend la forme de la Porte du Voyage Sans Retour. La folie meurtrière d’un régime politique se matérialise dans S.21 (2005) par des images de Tuol Sleng (lycée de Phnon Penh transformé en camp de détention par les Khmers rouges) et de Cheoung Ek ( un champ à quelques kilomètres de là où les prisonniers étaient exécutés). L’immigration, enfin, se donne à voir dans l’installation Flow Wet Feet (Dry Feet) (1999-2006). Une série d’écrans y montre la sérénité de la plage de Sunrise Beach en Floride, à l’exact endroit où des gardes frontières américains ont intercepté des immigrants cubains et les ont forcé à retourner à la mer.

Ces œuvres, et d’autres encore, sont exposées de par le monde, comme récemment au SITE à Santa Fe, au centre parisien Georges Pompidou, au Sundance Film Festival, ou bien à la biennale de Venise. Hasan Elahi est donc un artiste pluridisciplinaire et engagé, un citoyen américain originaire du Bangladesh voyageant énormément au fil de ses actualités. C’est aussi un type lambda qui a une vie comme tout le monde. Ou plutôt qui avait une vie comme tout le monde jusqu’au lendemain du 11 septembre 2001. Effectivement, le 12 il se rend chez le propriétaire du garde-meubles qu’il loue pour lui payer en main propre ce qu’il lui doit, ne comptant plus en faire usage à l’avenir. La chose parait anecdotique. Elle prend pourtant sens quand on sait qu’il sera victime d’une dénonciation anonyme et calomnieuse. L’informateur (Hasan a son idée sur la question) le suspecte d’y avoir entreposé des explosifs. Hasan n’est au courant de rien jusqu’au 19 juin 2002. De retour d’un voyage au Sénégal, où il exposait, il est interpellé à Détroit par les gardes-frontières. Soupçonné d’activités terroristes, il est longuement interrogé par les autorités et passe tout près de la réclusion. Et dans ces cas là, le pénitencier se nomme Guantánamo.

Tracking Transience : The Orwell Project

Lorsqu’un nom figure sur la liste des terroristes potentiels dressée par les autorités américaines, il est difficile de l’en effacer. Même (presque) libre de ses faits et gestes, Hasan Elahi sait qu’il y a toujours un œil qui veille sur lui. Sa pratique artistique – faisant déjà preuve d’un intérêt indéniable pour la surveillance, les frontières et les conditions géopolitiques qui les produisent et les maintiennent – s’en trouve d’autant plus marquée.

Dès la fin de l’année 2003, il met en place un site Internet sur lequel il amasse et laisse à disposition une quantité incroyable d’informations le concernant. Hasan porte en permanence un GPS et il uploade en temps réel, via son smartphone, des photographies de son environnement immédiat. Une assiette, click, des toilettes, click, un panneau sur l’autoroute, click, une salle de conférence, click, un hall d’aéroport, click, un rayon de supermarché, click. “Take an other picture with your click click click camera” comme le chante Bishop Allen. Il en ajoute entre une et cent par jour en fonction de la quantité de ses déplacements. Actuellement, on trouve plus de 45.000 clichés sur Tracking Transience, un nombre qui ne cesse de croitre.

“Quand j’ai commencé à monter mon projet, les gens pensaient que j’étais complètement fou de vouloir mettre en place un système qui permettrait à tous de savoir où j’étais et ce que je faisais à chaque instant. Aujourd’hui, à peine sept ans plus tard, il y a 500 millions de personnes qui font approximativement la même chose que moi.” Hasan fait référence au life catching : l’acte d’emmagasiner et de partager des moments de son quotidien dans des espaces ouverts comme les réseaux sociaux.

Parfait alibi, le projet Tracking Transience sert d’abord à préserver Hasan d’hypothétiques accusations. Les clichés ont pour objectif de clamer son innocence et de montrer bonne volonté et patte blanche aux enquêteurs qui savent toujours où il se trouve exactement, et de fait, le laisse en paix pour l’instant. “Pendant l’investigation, j’ai dû raconter au FBI absolument tout de ma vie : me raconter dans les moindres détails, leur montrer mon PDA, passer des batteries de tests, etc. J’ai alors commencé à garder des traces de mes activités à intervalles réguliers pour leur prouver qu’en aucun cas je ne pouvais être mêlé de près ou de loin à une quelconque attaque terroriste. La volonté et la transparence sont cruciales dans le succès d’un tel projet. Ces traces étaient cataloguées dans des bases de données distinctes. Il y avait plus qu’à faire un travail d’enquête pour en extraire du sens. Si l’on prend le temps de croiser ces bases de données, il est possible de connaitre l’ensemble des petites choses qui font de ma vie ce qu’elle est : où j’aime trainer, d’où je décolle et où j’atterris, où je passe la nuit, mes habitudes alimentaires, la façon dont je dépense mon argent et aussi où et quand je vais aux toilettes.”

Mais Tracking Transience n’a pas pour unique objectif de blanchir Hasan Elahi. L’enjeu pour l’artiste consiste aussi à ne plus uniquement subir une traque mais d’en être au contraire l’acteur principal, de redevenir possesseur de sa vie en choisissant de l’offrir à tous. “Manifestement, il y a un gros dossier au FBI avec mon nom écrit dessus. Pourtant la probabilité pour que quelqu’un qui n’est pas un officiel, y compris moi-même, puisse y avoir accès est nulle. Car au-dessus de l’étiquette avec mon nom, il y en a une autre : “sécurité nationale”. J’ai commencé à me demander : qu’est-ce que ces gens peuvent savoir exactement à mon sujet ? Et pourquoi le FBI devrait être le seul à connaitre toutes ces choses ? Et si, je devenais simplement volontaire pour délivrer chaque information me concernant à tout le monde ?”

De l’art de la contestation

Suspect ad vitam æternam Hasan Elahi met l’intégralité de sa vie sur Internet aussi bien pour se protéger que pour se moquer de ceux qui le traquent. Il tourne en dérision leurs méthodes et les retournent contre eux. Une grande partie du trafic sur le site Tracking Transience provient ainsi d’agences de renseignements en tous genre. À ce propos, au cours de nos échanges, Hasan m’a fourni une “petite liste non exhaustive” de celles qui viennent le visiter. Or cette petite liste contient presque une quarantaine de noms parmi lesquels le FBI, la CIA, la NSA, le NRO. On apprend donc que les types de la Maison Blanche, entre autres activités, matent régulièrement des JPEG d’assiettes de frites et d’urinoirs pour préserver la sécurité de leur pays.

“De prime abord, Tracking Transcience semble être une masse inutile d’informations. Pourtant c’est ce qui fait sa force. Les services de renseignements ( le FBI, la CIA, la NSA ou n’importe quelle autre agence) fonctionnent dans une industrie de la connaissance. L’information en est la monnaie et le secret ou la restriction de son accès lui confèrent sa valeur.” En filant la métaphore, on pourrait dire qu’avec Tracking Transience, Hasan Elahi inonde le marché de l’information le concernant. À la fois consentie et massivement offerte à tous, ces informations se trouvent complètement dévaluées. Ces photographies, même si elles en apprennent beaucoup sur son mode de vie, restent finalement complètement a-personnelles vu ce qu’elles montrent. Selon lui, dans un monde où nous serions extrêmement et délibérément exposés aux yeux de tous, nous deviendrions des absolus anonymes libres et maitres de nos données.

Voulant inverser le paradigme, il nous encourage à l’imiter pour ne plus être les proies de ceux qui tiennent les rênes de ce business.”Nous ne devrions pas craindre les systèmes de surveillance mais au contraire les embrasser pleinement. En embrassant le système et même en devenant le système, nous en prenons contrôle et lui dictons les directions qu’il doit prendre. Nous avons tous des appareils photos sur nous car rares sont les téléphones aujourd’hui qui n’en sont pas fournis. Nous pouvons donc tous prendre des photos. Nous n’avons pas à rester là, les bras ballants, à attendre d’être victimes de “leurs” appareils de surveillance. Au contraire, il faut prendre le contrôle et monitoire ceux qui nous surveillent. Il n’est aujourd’hui plus question de Big Brother car il y a des millions de Little Brothers. Et Big Brother ne doit certainement pas apprécier quand ces millions de Little Brothers le pointent avec leurs objectifs.” L’allusion à Big Brother est assez convenue, je rappelle que l’installation est sous-titrée The Projet Orwell.

Cette œuvre perpétuelle se déclinant sous de multiples formats questionne le regard et le statut de l’observateur ; le rendant à la fois spectateur et voyeur. De fait, elle a été considérée par beaucoup comme un manifeste de protestation politique. Pourtant, pour Hasan Elahi ce projet semble rester avant tout un projet artistique, une proposition de contestation individuelle et quotidienne parmi un vaste panel de méthodes envisageables, n’apportant pas de réponses toutes faites mais ouvrant sur des questions plus ardues. Et comme il le dit : “Il s’avère souvent que les choses les plus importantes véhiculées par l’art soient à peine considérées comme artistiques…”

Moi, toi et tous les autres

Œuvre personnelle donc. Et c’est pour cela que les photos qui composent l’immense collection de Tracking Transcience sont aussi exemptes de figures humaines que la plage de Sunrise Beach dans l’installation Flow Wet Feet (Dry Feet) précédemment mentionnée. Hasan Elahi n’a aucune objection à partager chaque détail de sa vie mais comprend que les membres de son entourage souhaitent préserver leur intimité. C’est par respect mais aussi par automatisme qu’il ne faillit jamais. Pourtant lorsque l’on mène ce mode de vie, les relations personnelles sont difficiles à maintenir correctement. Ses amis rechignent à l’accueillir chez lui : ne voulant pas que les photographies montrent au reste du monde comment ils ont aménagé leur salon ou que le GPS d’Hasan indique comment venir chez eux. Les limites entre ce qui relève du privé et du public sont floues dans la vie d’Hasan Elahi, pourtant il arrive à conserver des espaces d’intimité.

Il semble s’en réjouir, même s’il s’en défend… “Je pense que j’ai une vie privée. Il y a un un certain nombre d’informations à mon égard que vous pourrez trouver extrêmement facilement. Cependant si vous essayez de creuser, vous ne trouverez pas grand chose. Cette semaine par exemple j’ai été invité en tant que conférencier dans une université de la région. La personne qui était chargée de me présenter à l’auditoire n’avait pas pu trouver où j’avais fait ma scolarité et quel diplôme j’avais obtenu. Ce n’est pas que j’essaie de le cacher, et ce n’est vraiment pas intentionnel, mais c’est une des choses qu’il n’est pas simple de savoir. Jusqu’à récemment, de nombreux commissaires d’exposition (même ceux avec qui je suis en étroite collaboration) ne savaient pas quel âge j’avais. C’est un peu différent maintenant que quelqu’un s’est permis d’ajouter ces informations sur Wikipédia…”

Mais finalement, ce qui semble important pour l’artiste et pour son œuvre c’est l’idée d’anonymat. Il a su ou pu en conserver un certain degré en dépit de son exposition. Ce concept est fondamental dans la dimension conceptuelle de l’œuvre se voulant tant l’exact miroir de sa vie que la possibilité de refléter de quotidien de tous. En se montrant ainsi devant nous, Hasan Elahi nous fait part de sa vie en figurant celles que tant d’autres reclus ne peuvent plus mener. Il donne à voir les rouages d’un système qui nous observe et nous traque tous. Un système qui, à l’intérieur ou à l’extérieur des murs, surveille et punit.

Un bonus pour les curieux, voici la petite liste des agences de renseignements qui se connectent régulièrement sur le site Tracking Transience d’Hasan Elahi :

Les point mil :

Air Force Space Command (afspc.af.mil)

Technical Data Management Division (amrdec.army.mil)

United States Central Command (centcom.mil)

Department of Defense Cyber Crime Center (dc3.mil)

Defense Intelligence Agency (dia.mil)

Defense Information Systems Agency (disa.mil)

Naval Surface War Center (dt.navy.mil)

Air Force Headquarters (hq.af.mil)

US Joint Forces Command (jfcom.mil)

Department of Defense Network Information Center (js.mil)

Missile Defense Agency (mda.mil)

Naval Surface War Center (navsses.navy.mil)

National Geospatial-Intelligence Agency (nga.mil)

Navy Information Operations Command (nioc.navy.mil)

Space and Naval Warfare Systems Command (nosc.mil)

National Reconnaissance Office (nro.mil)

National Security Agency (nscs.mil)

Naval Undersea Warfare Center (nuwc.navy.mil)

Office of the Secretary of Defense (osd.mil)

Pentagon (ptr.hqda.pentagon.mil)

United States Special Operations Command (soc.mil)

United States Special Operations Command (socom.mil)

United States Special Operations Command (sofsa.mil)

United States Southern Command (southcom.mil)

Space and Naval Warfare Systems Command (spawar.navy.mil)

Department of Defense High Performance Computing (usafa.hpc.mil)

United States Army Security Assistance Command (usasac.army.mil)

les point gov :

Federal Bureau of Prisons (bop.gov)

Customs and Border Protection (cbp.dhs.gov)

Department of Homeland Security (dhs.gov)

Executive Office of the President (eop.gov)

United States House of Representatives (house.gov)

National Security Agency (nsa.gov)

Terrorist Screening Center (techtrack.gov)

Transportation Security Agency (tsa.dhs.gov)

Central Intelligence Agency (ucia.gov)

Department of Justice (FBI) (usdoj.gov)

Images CC Elsa Secco, laverrue, re_birf et Mr. T in DC

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