OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La télévision, ce divertissement de mauvais aloi http://owni.fr/2011/04/15/la-television-ce-divertissement-de-mauvais-aloi/ http://owni.fr/2011/04/15/la-television-ce-divertissement-de-mauvais-aloi/#comments Fri, 15 Apr 2011 13:39:24 +0000 André Gunthert http://owni.fr/?p=56805 Dédiée à l’éducation aux médias, l’association Icare a livré récemment une compilation remarquée de chiffres-clés sur le rapport à la télévision du public d’âge scolaire. Suite à la publication par Médiamétrie de son rapport 2010, où l’on observe pour la première fois depuis des années l’arrêt de la chute de la consommation télévisée (3h32 par personne et par jour en moyenne), Icare souligne notamment qu’« un écolier en primaire passe tous les ans plus de temps devant le tube cathodique que face à son instituteur (956 heures contre 864) ».

Une rapide division montre que ce dernier chiffre correspond à un total quotidien de 2h37 par jour, sensiblement moins élevé que la moyenne de la consommation de l’ensemble des Français (74%). Mais il l’est encore beaucoup plus… que celui fourni par une enquête réalisée l’an dernier par la même association dans un collège en région, où la moyenne quotidienne n’atteint qu’1h01 pour les 11-15 ans (32%).

D’où l’on peut conclure sans grand risque d’erreur que les jeunes Français regardent beaucoup moins la télé que leurs aînés. Pas de quoi crier à l’addiction – ou alors il faut de toute urgence s’occuper de nos seniors, qui font considérablement grimper la moyenne…

Ce n’est pas l’impression que laisse la compilation statistique d’Icare, qui contribue plutôt à nourrir l’inquiétude.

Entre 1983 et 2007, les budgets de pub ciblant les enfants sont passés de 100 millions à 17 milliards de dollars (170 fois plus en 24 ans).

Ou encore :

Aux États-Unis, juste après la Seconde Guerre mondiale, il a suffi de 7 petites années pour que le taux d’équipement des foyers passe de 1 à 75%. Pour atteindre le même niveau de couverture, la radio avait mis 14 ans, le réfrigérateur 23, l’aspirateur 48, l’automobile 52, le téléphone 67 et le livre des siècles.

Mélanges de données américaines anciennes et de statistiques françaises récentes

Quel est le sens de cette accumulation de chiffres hors contexte empruntés aux sources les plus hétéroclites, qui mélange joyeusement données américaines anciennes et statistiques françaises récentes ? Cette compilation est livrée d’entrée par une citation de Pascal Bruckner (philosophe) : « La télévision n’exige du spectateur qu’un acte de courage – mais il est surhumain -, c’est de l’éteindre. » (MàJ: ci-dessous en commentaire”>L’animation a été modifiée depuis la rédaction de cette critique).

Il est navrant de voir une association pleine de bonne volonté se donner pour guide un intellectuel qui est à l’éducation aux médias ce qu’Eric Zemmour est à l’analyse politique. Et plus consternant encore de voir qu’après le constat que le temps consacré au petit écran est supérieur à celui passé en classe, le seul message explicite est celui d’éteindre la télé.

Aussi efficace que le conseil énoncé naguère de ne pas s’inscrire sur Facebook, ce message est bien, aujourd’hui encore, celui que délivre globalement l’institution scolaire et ses représentants, qui partagent avec Bruckner la conviction que la télé n’est pas une vraie source culturelle, mais un divertissement de mauvais aloi. La lecture des chiffres réunis par Icare transmet fidèlement l’idée que les heures passées devant l’écran sont au mieux du temps perdu, au pire une aliénation au diktat de la consommation.

Qui aurait l’idée de s’inquiéter du temps passé à bouquiner ? Lire, nous le savons tous, est une activité culturelle noble, valorisée par l’institution et qui ne peut être que bonne – à l’inverse de la télé, qui ne peut être que mauvaise…

Admirable puissance du préjugé. Comme nous le rappellera une promenade dans une librairie quelconque, l’édition est la plus vieille des industries culturelles, et comprend à ce titre une variété de contenus dont la gamme qualitative ne se distingue pas foncièrement de celle proposée par les programmes télévisés. Tout comme Arte n’est pas la chaîne la plus regardée, la règle en matière d’édition est que ce sont les mauvais livres qui se vendent le mieux – heureusement pour la librairie, qui ne survivrait pas longtemps si elle ne devait s’appuyer que sur les essais de Benveniste ou de Lévi-Strauss…

Les ouvrages de Marc Lévy ne sont pas de “vrais” livres

Une réalité que nous ne voyons que d’un œil. La valorisation de la littérature nous empêche de considérer les ouvrages de Marc Lévy ou les recueils de recettes de cuisine comme de “vrais” livres. Inversement, la perception négative de la télévision nous enjoint de considérer le foot et la télé-réalité comme des manifestations de sa nature profonde. Ces clichés ne valent pas mieux l’un que l’autre. La vraie différence dans le rapport des jeunes à ces diverses offres culturelles est que leur consommation livresque est efficacement guidée par les adultes, dont la maîtrise s’appuie largement sur les schémas de reproduction culturelle (oui, tu peux lire Marcel Pagnol ; non, Gérard de Villiers ce n’est pas de ton âge)…

Les chiffres réunis par Icare dénombrent des téléspectateurs, des téléviseurs ou des heures passées à les regarder, jamais aucun contenu. C’est dommage, car le rapport Médiamétrie souligne que la bonne tenue des statistiques télé, boostées l’an dernier par la TNT, est largement soutenue par la fiction : blockbusters, séries américaines et films français ont fait les succès d’audience de 2010, et représentent globalement un quart de la consommation télévisuelle.

Oui, comme Balzac, Stendhal ou Flaubert, la télé raconte aussi des histoires. Plutôt que les taux de pénétration des marchés, j’aurais préféré qu’on nous détaille les goûts des adolescents. Le dessin animé Les Simpson, actuellement diffusé par W9, que je donnerais au doigt mouillé comme le programme préféré des jeunes Français entre 10 à 15 ans, est par exemple une impressionnante machine à recycler des modèles culturels et des problématiques sociales, appuyée sur une ironie décapante et un goût du second degré inconnus des vieux Disney.

Un accroissement du contrôle des programmes par les téléspectateurs

Parmi les données mises en exergue par Médiamétrie, il y a le développement de la consultation en différé, par enregistrement (27% des foyers sont équipés d’un lecteur enregistreur numérique à disque dur) ou catch-up TV (rediffusion sur Internet), ce qui signifie un accroissement du contrôle des programmes par les téléspectateurs. Une donnée malheureusement passée sous silence par Icare, qui préfère nous rappeler que :

la surconsommation de télé peut entrainer une diminution de l’activité physique, une dégradation des habitudes alimentaires, une réduction du temps passé à lire, une altération du sommeil, un affaissement des performances scolaires et un assèchement des interactions intra-familiales.

Oui, indiscutablement, la surconsommation de télé peut entrainer de nombreux effets nuisibles. Comme d’ailleurs la surconsommation de n’importe quoi d’autre, qui est par définition néfaste. Ce qu’on attendrait, de la part d’une association d’éducation aux médias, c’est qu’elle aide parents et professeurs à mieux utiliser cette ressource, en l’intégrant à nos autres pratiques culturelles, plutôt que de renforcer les préjugés. Comment contextualiser un cours par le conseil d’un programme approprié, rebondir d’un documentaire sur une visite de musée, ou discuter avec les élèves eux-mêmes de leurs pratiques télévisuelles…

Apprendre la télé aux professeurs

Une classe de CM1 se vit présenter le premier volet d’une série TV déployée sur 8 épisodes. Lorsque l’on demanda aux élèves d’imaginer l’ensemble de l’intrigue sur la base de ce seul premier volet, ils furent 80% à prédire plus de 70% des évènements qui allaient survenir, relève Icare, en nous laissant conclure au caractère formaté des contenus, alors que cette observation indique surtout l’existence d’une culture audiovisuelle.

Les jeunes d’aujourd’hui, qui ont passé de si longues heures devant les écrans, disposent d’un bagage sans précédent dans ce registre, et savent reconnaître sans hésiter genres, figures et citations – quel dommage de ne pas utiliser ce savoir dans l’enseignement des formes fictionnelles.

Pour ce faire, encore faudrait-il envisager la télé comme une ressource culturelle, et non sous l’angle habituel de la guerre des cultures, qui néglige toute forme populaire récente et ne sait reconnaître que les contenus validés par l’institution. Oui, il faudrait apprendre la télé aux professeurs, majoritairement incapables aujourd’hui de se servir de ces contenus, puisqu’ils ont été exclus de leur formation, et qui ne peuvent guider les élèves, livrés à eux-mêmes dans leurs choix de consommation télévisuelle. Un cercle vicieux qui enferme l’école dans un pur schéma reproductif. Ce ne sont visiblement pas les associations d’éducation aux médias qui vont l’aider à en sortir.


Billet initialement publié sur L’Atelier des icônes, un blog de Culture visuelle.
Crédits photo via Flickr : Autowitch [cc-by-nc-sa] ; Digital Noise [cc-by-nc-sa] ; An untrained eye [cc-by-nc]

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[APP] Petit traité de stratégie politique appliqué à l’éducation aux médias http://owni.fr/2011/02/28/petit-traite-de-strategie-politique-applique-a-leducation-aux-medias/ http://owni.fr/2011/02/28/petit-traite-de-strategie-politique-applique-a-leducation-aux-medias/#comments Mon, 28 Feb 2011 21:15:47 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=47079 “Je n’ai pas lu le document mais je sais déjà ce qu’il y a dedans”. C’est ainsi que Divina Frau-Meigs, professeure à l’Université de Paris III, en sciences de l’information et de la communication, a commenté la nouvelle déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie. Diffusée depuis le 22 février [pdf], elle sera officiellement présentée ce 3 mars sur un site dédié.

De fait, le texte n’apporte rien de fondamentalement nouveau par rapport à ses nombreux prédécesseurs, comme vous pourrez le constater sur notre timeline.

On ne pourra accuser de mauvaise foi la chercheuse puisqu’elle fait partie du media literacy expert group [pdf] mis en place en 2006 par la Commission européenne. Son jugement n’a rien d’étonnant pour qui avait assisté à la conférence préparatrice de Bruxelles en décembre dernier : dans un amphi à moitié vide, à la connexion wi-fi buguée, un comble, des experts s’étaient succédé pour dérouler les mêmes évidences rabâchées de colloque en colloque depuis deux décennies. Heureusement, les trains vers Paris sont fréquents et les boutiques de la gare de Bruxelles-Midi regorgent de chocolats…

“La nouveauté réside dans le titre “tout au long de la vie” (lifelong), explique Vitor Reia Baptista, un des huit experts internationaux qui a accompagné le processus . “Cette notion n’a pas été abordée avant et cela signifie que nous devons nous en préoccuper tout au long de notre vie et pas seulement pendant la période scolaire. Nous incluons aussi la formation des professionnels des médias ce qui est totalement nouveau.”

Mais cet aspect était déjà dans la déclaration de Grünwald, le premier texte fondateur sur le sujet, qui date de 1982 :

L’école et la famille partagent la responsabilité de préparer les jeunes à vivre dans un monde dominé par les images, les mots et les sons. Enfants et adultes doivent être capables de déchiffrer la totalité de ces trois systèmes symboliques [...]

Et les textes suivant en remettront une couche à ce sujet.

Une hiérarchisation verticale de transmission des savoirs

De façon générale, la démarche laisse certains spécialistes dubitatifs. La dénomination même d’éducation aux médias peut gêner : “Le terme générique de « médias », nulle part défini dans la déclaration de Bruxelles, confond la question des supports et des technologies (leur place dans l’élaboration du savoir) avec la question des médias comme secteur d’activité relevant de stratégies industrielles de fabrication, de distribution et d’organisation de contenus”, pointe Louise Merzeau, maître de conférence en sciences de l’information et de la communication à Paris X Nanterre. Le terme “éducation” soulève lui aussi des difficultés :

Le terme implique souvent des arrière-pensées morales, pour ne pas dire moralisatrices. Il suppose une forme de dressage et ne met pas assez l’accent sur l’appropriation (même si le terme figure dans l’une des recommandations). Exemple encore malheureusement courant : prétendre « interdire » aux élèves d’utiliser Wikipédia pour leurs travaux, sous prétexte que cela les incite au plagiat…

Et de noter “l’étrangeté qu’il y a à dresser une liste des recommandations sur l’éducation aux médias, sans jamais utiliser les mots « savoir », « culture », « mémoire » ou « information »… Est-il pertinent dans ce cas, de conserver les termes “d’éducation aux médias” qui nous placent dans une hiérarchisation verticale de transmission des savoirs ? Ne faudrait-il pas parler de politiques de transmission, à l’ère des réseaux et de la convergence des médias ?

Exit Internet ?

Comment ne pas ressentir un certain anachronisme à la lecture de la déclaration de Bruxelles ? On pourrait le présenter en le datant des années 80, personne ne s’en apercevrait. Si tous les experts interrogés sont d’accord pour dire qu’Internet est bien évidemment inclus dans le mot média, est-ce suffisant, alors que ce texte ignore, dans son état actuel, les pratiques culturelles à l’ère numérique ? Exit le User Generated Content, l’horizontalité dans la transmission du savoir, les pratiques de détournement et de remix, le développement fulgurant des pratiques amateurs où le consommateur de contenus devient auteur.

Sur quoi se sont appuyés les huit experts pour rédiger cette déclaration ? Thierry de Smedt, coordinateur du groupe de travail et professeur à l’Université Catholique de Louvain, explique qu’ils se sont basés sur l’expérience de 300 personnes issues de différents pays européens et identifiées comme faisant de l’éducation aux médias.

La confrontation de différentes approches lors d’ateliers pratiques nous a permis de réunir les matériaux nécessaires pour écrire la liste des recommandations. Le but était de concilier les expériences pratiques et les recommandations politiques.

Pourtant, la déclaration de Bruxelles fait l’effet d’une coquille vide qui égrène les recommandations les unes à la suite des autres. Elle ne s’appuie sur aucun exemple, ni argumentation, contrairement à l’Agenda de Paris, le précédent texte similaire, qui avait au moins le mérite de développer chacune de ses douze recommandations.

Quel sera l’impact de ce nouveau texte ?

Les institutions européennes ne sont pas compétentes dans le champs de l’éducation comme de la culture, qui relèvent de la politique de chaque État membre. Cette série de recommandations émanant d’un groupe de pression n’est donc pas contraignante. L’objectif pour l’expert Vitor Reia-Baptista est “d’offrir une compréhension plus large de ces questions et leur donner une visibilité dans l’agenda politique européen. La Commission européenne est au fait de ces questions et nous attendons beaucoup des États membres qui commencent d’ailleurs à bouger.”Et d’ajouter que “le gouvernement portugais a déjà pris des mesures avec l’organisation d’un congrès national de l’éducation aux médias en mars 2011.”

Cependant, la raison pour laquelle les États de l’Union Européenne commencent à s’activer sur ce sujet, tient dans l’article 33 de la directive des services et Médias audiovisuels (SMA) datant de 2007. Cette directive, qui dépend de la Direction Générale Société de l’information et médias, est compétente au niveau européen et de ce fait, oblige les États à rendre compte à la Commission du niveau d’éducation aux médias de leurs citoyens d’ici la fin de l’année 2011. Elle stipule :

Au plus tard le 19 décembre 2011, puis tous les trois ans, la Commission soumet au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen un rapport relatif à l’application de la présente directive et, le cas échéant, formule de nouvelles propositions en vue de l’adaptation de celle-ci à l’évolution dans le domaine des services de médias audiovisuels, notamment à la lumière de l’évolution technologique récente, de la compétitivité du secteur et des niveaux d’éducation aux médias dans l’ensemble des États membres.

L’introduction de ce petit article dans la SMA, reste la plus grande victoire du groupe d’experts européens de l’éducation aux médias en 25 ans de lobbying.

Quel est donc l’intérêt de produire un énième texte, hormis le plaisir de se rencontrer entre confrères autour d’un café crème-speculoos dans une nouvelle ville d’Europe à l’occasion d’un énième colloque ? L’opération a deux visées politiques.

Premier intérêt : les vertus de la répétition, qui permet au sujet de rester présent dans le débat public, et de montrer un front des chercheurs de plus en plus unis. “Cela montre déjà que le consensus sur la définition, le périmètre, le moyen, les objectifs existe en Europe”, explique Divina Frau-Meigs.

D’autre part, il sert l’agenda des Belges, poursuit la chercheuse :

Je pense que c’est stratégique car cela permet aux Belges de se positionner. Le Conseil Supérieur de l’Éducation aux Médias (CSEM) est derrière ce projet, ils vont utiliser ce texte en interne pour obtenir la mise en place de politiques nationales. Il n’a pas vocation à ce que cela aille au-delà de la Belgique. L’agenda de Paris avait le même but, il a permis à la France de “gagner” puisque nous avons obtenu l’introduction de l’éducation aux médias dans le socle des compétences. Pratiquement chaque pays qui prend la présidence européenne fait quelque chose sur les médias : les Allemands à Leipzig, les Espagnols à Madrid…

Pour autant, le groupe d’experts interrogé se veut majoritairement optimiste quant à l’impact de cette nouvelle déclaration et attend des actions concrètes de la part des États, des régions et des médias. Une attitude trop passive ? Ils ajoutent que si l’Europe ne peut imposer aux États l’éducation aux médias, il est possible d’obtenir des aides financières sur certains aspects du programme développé dans la Déclaration de Bruxelles en s’adressant aux Directions générales compétentes, dans les secteurs Éducation, Culture et Recherche par exemple. Un point de vue que ne partage pas Divina Frau-Meigs, qui en demande plus :

Il faudrait en fait obtenir une directive européenne sur l’éducation aux médias, et c’est ma stratégie. Mes collègues sont moins politiques, mais la Direction générale Culture et Éducation freine des quatre fers.

“Je suis un peu sceptique (rires) sur ce genre de grande discussion européenne, renchérit le Britannique David Buckingham. En réalité, il est souvent difficile de savoir si cela va vraiment conduire à des actions concrètes. Je pense que si nous pouvions mettre en avant ces documents et affirmer qu’à la Commission européenne ou à travers l’Europe il y a un mouvement pour l’éducation aux médias, alors peut-être, pourrions-nous faire la différence. Mais je pense que sur ce sujet, trouver un consensus européen aussi large a ses limites.”

Il préconise, outre des déclarations de ce type, de former les professeurs, d’avoir des ressources à disposition, et de passer d’une logique top-down à une logique bottom-up, afin de donner les clés aux professeurs pour mettre en place ce mouvement, d’en bas, en ne laissant pas seulement la parole qu’à des universitaires déconnectés.

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À lire/voir aussi : “Le plagiat dans la culture du partage” d’Emmanuelle Erny-Newton ; Louise Merzeau, “le filtrage, un crime contre l’éducation”, in “La traçabilité sur internet et ses conséquences en formation” [vidéo]

Divina Frau-Meigs a coordonné le dernier e-dossier de l’audiovisuel de l’INA sur l’éducation aux médias et récemment publié Penser la société de l’écran aux Presse Sorbonne Nouvelle

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Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie

Images CC Flickr nestor galina Daniel Gasienica

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[App] Trente ans d’éducation aux médias en Europe http://owni.fr/2011/02/28/app-trente-ans-deducation-aux-medias-en-europe/ http://owni.fr/2011/02/28/app-trente-ans-deducation-aux-medias-en-europe/#comments Mon, 28 Feb 2011 20:32:10 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=48427 Ne pas se fier aux effets d’annonce sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie, dévoilée officiellement jeudi prochain : avant elle, bien des initiatives similaires ont été publiées, depuis la déclaration de Grünwald en 1982.
Autant de textes destinés à plaider la cause de l’éducation aux médias auprès des législateurs européens, pour que les principes se transforment en politiques concrètes dans chaque pays. Des processus lents, aux résultats concrets faibles. Inversement, le législateur n’a pas traîné pour mettre en place la dérégulation des télécoms quand, en parallèle, l’environnement médiatique évoluait à grande vitesse.

Cette timeline présente les principaux éléments nécessaires pour comprendre les enjeux de l’éducation aux médias et son évolution depuis trente ans.

RETROUVEZ NOTRE DOSSIER SUR LA DÉCLARATION DE BRUXELLES ET SUR L’EDUCATION AUX MEDIAS TOUT AU LONG DE LA VIE.

Textes : Ophelia Noor et Sabine Blanc
Design : Marion Boucharlat
Développement : Julien Kirch

Image CC Flickr Aggie Morganti

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Education aux médias: anarchy in the EU http://owni.fr/2011/02/28/education-aux-medias-anarchy-europe/ http://owni.fr/2011/02/28/education-aux-medias-anarchy-europe/#comments Mon, 28 Feb 2011 20:00:30 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=43266

Les médias sont parmi nous mais contrairement aux aliens, ils ne sont pas forcément méchants, au contraire. C’est en substance ce qu’affirmait la déclaration de Grünwald [pdf], le premier texte fondateur de l’éducation aux médias, adopté en 1982 à l’initiative de l’Unesco, rompant ainsi avec une tradition critique des médias.

Pourquoi donc l’éducation aux médias ? [...]

- parce que plutôt que de condamner ou de louer le pouvoir des médias, mieux vaut reconnaître qu’ils constituent un élément important de la culture contemporaine et peuvent favoriser la participation active des citoyens dans la société ;

Rétrospectivement, ce texte a très bien vieilli : il englobe la majorité des enjeux, en particulier le rôle de l’éducation aux médias dans le bon fonctionnement démocratique, et la rupture technologique qui se dessine avec l’avènement des télécoms. Depuis, les textes successifs ont brodé autour de ces axes. Seul un point n’était pas abordé, l’évaluation des niveaux de compétence. Il le sera dans l’abondante production qui émergera dans les trois décennies suivantes, tant des acteurs de l’éducation que du législateur.

Internet et le numérique en général seront bien sûr davantage évoqués mais Grünwald l’anticipait en insistant sur “les développements de la technologie de la communication”. Le texte se concluait sur un appel aux autorités compétentes à investir ce champ, ce qu’elles vont effectivement faire de plus en plus. Certains experts, comme David Buckingham, voient dans cette démarche une façon de se donner bonne conscience dans un contexte de dérégulation des médias. L’objectif affiché est de fournir aux citoyens les moyens intellectuels de prendre ses distances avec le nouveau système mis en place :

Pourquoi, au cours de ces cinq dernières années, l’éducation aux médias a-t-elle peu à peu accédé au rang de priorité politique ? Après tout, cela fait vingt, voire trente ans que plusieurs d’entre nous soutiennent la thèse de la nécessité d’une telle éducation, et, souvent, prêchent dans le désert. Pourquoi cette urgence subite ? [...] L’éducation aux médias devient alors partie intégrante d’une stratégie visant à créer des « citoyens-consommateurs », le terme est de l’Ofcom.

Dans la même veine intéressée, l’éducation aux médias est vue par les instances européennes comme une façon d’atteindre les objectifs de la stratégie de Lisbonne en matière économique. Le Parlement européen indiquait ainsi en décembre 2007 dans une communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions qu’“un niveau élevé d’éducation aux médias peut contribuer à la réalisation des objectifs de Lisbonne en favorisant l’émergence d’une économie de la connaissance et en stimulant la compétitivité dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des médias.”

Des acteurs conscients de la nécessité d’une politique plus unifiée

Pourquoi pas. Sauf que dans la réalité, l’éducation aux médias n’est pas une pratique unifiée. Si les chercheurs sont globalement d’accord maintenant, il n’en n’est pas de même dans en termes de politiques mises en  œuvre. Les nombreux colloques européens sur l’éducation aux médias ont mis à jour les disparités d’un pays à l’autre. Dès 2004, les acteurs de l’éducation aux médias réunis à Belfast pointaient la nécessité d’un observatoire européen pour coordonner les actions et influer au niveau de l’UE pour imposer un cadre contraignant aux États.

Ces disparités s’expliquent entre autres par une absence de définition commune dont la multitude de termes utilisés témoigne : éducation à l’image, éducation aux médias, media literacy… L’éducation aux médias relevant de la culture et de l’éducation, il est difficile d’arriver à un consensus sur ce point. Et d’ailleurs est-ce souhaitable du point de vue de la diversité culturelle ?
Depuis 2003, “la définition de l’Ofcom de l’éducation aux médias — à savoir, la capacité d’avoir accès, de comprendre et d’établir des communications dans une diversité de contextes – a été largement adoptée au niveau international” souligne toutefois David Buckingham (ibidum).

Les dénominateurs communs sont rares : les États financent tous plus ou moins des structures publiques ou associatives ; la presse écrite est le média privilégié, et inversement la radio est délaissée. Pour le reste, on constate de fortes disparités d’un pays à l’autre. Quantité d’argent public donnée, ancienneté de l’implication, histoire et traditions culturelles sont autant de facteurs expliquant ces différences.

En tête

En Finlande,  en Suède et en Norvège, l’éducation aux médias est une discipline à part entière et l’éducation au numérique est bien prise en compte. Dès les années 70, la Finlande a mis en place au niveau national son programme mass media en collaboration avec l’UNESCO et a rapidement anticipé [en] l’arrivée d’Internet en inscrivant dans le programme de l’éducation nationale un programme d’éducation aux médias en 1994.

La France est un des rares pays à posséder une structure dédiée à l’éducation aux médias depuis 1983, le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information). Néanmoins, ce n’est pas une discipline scolaire à part entière, elle est enseignée de façon transversale, ce qui entraîne des fortes disparités en fonction de l’intérêt que chaque professeur porte à la matière. Autre spécificité, le cinéma est le média privilégié. Il est aussi enseigné à travers les dispositifs d’éducation à l’image du Centre National du Cinéma (CNC) et de l’éducation nationale, dans une vision élitiste de l’éducation aux médias, fort éloignée de la conception britannique des cultural studies et que l’on appelle éducation à l’image (entendu comme “artistique”). L’idée derrière étant aussi culturelle qu’économique, de soutenir une industrie culturelle.

Le Royaume-Uni a inclut des cours de media education dans les programmes scolaires. Si les TIC ont été abordées en priorité ces dernières années, c’est au détriment des mass médias et de la media literacy en général. Contrairement à la France, il n’existe pas de cloisonnement entre le cinéma et les autres médias. En matière de cinéma, plusieurs structures mettent leurs moyens au service de l’éducation à l’image, comme le BFI (British Film Institute) et le Film Education, financé par l’industrie du cinéma anglaise, ou bien encore le UK Film Council. Ce dernier, avec le BFI, a été à l’initiative de la charte européenne de l’éducation aux médias de 2008.

Des disparités au sein même de certains pays

Italie, Allemagne, Espagne présentent une très forte dimension régionale. L’éducation aux médias varie donc fortement d’une région à l’autre et les politiques nationales sont quasiment inexistantes ou peu contraignantes.

En Espagne, les politiques nationales ont été progressivement abandonnées, notamment dans le domaine du cinéma et les initiatives laissées aux régions. Si la Catalogne est en pointe dans l’éducation aux médias, dans d’autres régions elle est quasiment inexistante, les initiatives venant plutôt d’organisations comme Grupo Communicar en Andalousie, fondé par des journalistes et des enseignants, ou de festivals de cinéma qui n’hésitent pas à proposer des ateliers pratiques. Le seul médium vraiment actif en Espagne est la presse : des quotidiens nationaux comme El Pais et El Mundo, proposent régulièrement des rencontres en milieu scolaire.

En Italie, le système a été refondé dans le sens d’une autonomie des institutions éducatives, alors qu’auparavant, le ministère de l’Éducation fixait le cadre. Depuis les années 80, l’accent est mis sur l’informatique, le multimédia et les nouvelles technologies, en particulier l’Internet et le téléphone mobile. Nombre d’initiatives en Italie proviennent des universités catholiques, comme en témoigne la création dans les années 90 du CREMIT (Centro di Ricerca sull’ Educazione ai Media, all’ Informazione e alla Tecnología), à Milan.

La rupture de la chute du Mur de Berlin

Les ex-pays de l’Est sont nettement moins bien lotis, pour des raisons historiques évidentes. Il a fallu revenir sur des décennies de monopole étatique sur les médias et leur utilisation au service de la propagande, et rattraper un sous-équipement.

Dans les pays baltes, des petites structures indépendantes (associations, festivals et salles de cinéma, centres culturels) ou des enseignants prennent souvent des initiatives. L’État n’a en effet pas encore mis en place une véritable politique culturelle ou éducative orientée vers l’éducation aux médias. L’éducation au cinéma est prise en compte, dans une perspective esthétique, plutôt que l’aspect citoyen critique. Dans un papier publié en 2010 par l’Université de Vilnius (Lituanie), une chercheuse concluait ainsi [lit et en] que “les politiques d’éducation aux médias en étaient à leur prémices et qu’il manquait encore à la Lituanie le courage et l’état d’esprit nécessaires pour mettre en place des politiques globales de pédagogie critique et d’éducation aux médias.”

L’Estonie a décidé d’investir massivement dans le numérique, une politique économique baptisée “saut du tigre”. Le saut du Tigre, de par sa rapidité, a aussi eu comme conséquence de créer un problème de décalage générationnel, avec des enseignants et des parents devant rattraper le train à marche forcée. L’étude Mediapro [pdf] de 2006 sur l’appropriation des nouveaux médias par les jeunes en Europe pointait déjà ce fait : “Comme il y a très peu de réflexion sur les usages des nouveaux médias, les jeunes [Estoniens] se sentent souvent livrés à eux-mêmes avec le rôle d’expert en informatique de la famille.”

Les pays d’Europe centrale mettent en place des structures d’éducation aux médias, très liées aux organismes chargés de la régulation. À noter en Roumanie la création de Media Monitoring Active watch [ro] une agence qui fait office d’observatoire des médias et œuvre aussi en matière d’éducation aux médias [ro]. “Elle a été fondée par l’équivalent du directeur du Canard enchainé, un grand journaliste très craint et reconnu et qui a eu l’intelligence de s’entourer de jeunes chercheurs”, détaille Evelyne Bevort, directrice déléguée du CLEMI. Pour le reste, la situation générale peut encore être améliorée : “l’éducation aux médias est inscrite dans le programme de l’éducation nationale roumaine mais seulement en option pour les 14/18ans, détaille Nicoleta Fotiade, directrice du département éducation aux médias d’Active watch, pour nous c’est insuffisant. Nous n’avons pas d’organisation comme le CLEMI totalement dédiée à l’éducation aux médias.”

Dans ce contexte atomisé, la déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie se veut une réponse consensuelle. Parviendra-t-elle à faire passer les États de grands discours pleins de principes aux actions concrètes ? C’est ce qu’assurait en 2009 Viviane Reding, alors commissaire européenne chargée de la société de l’information et des médias :

Soyez assurés que votre voix sera entendue et que les recommandations formulées lors du congrès de Bellaria ne resteront pas lettre morte.

Image CC Flickr natashalcd, Christopher S. Penn et courosa

Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles pour une éducation aux médias tout au long de la vie

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Engagement des jeunes: “la technologie seule n’est pas une motivation suffisante” http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/ http://owni.fr/2011/02/28/engagement-des-jeunes-technologie-david-buckingham/#comments Mon, 28 Feb 2011 17:00:57 +0000 Sabine Blanc et Ophelia Noor http://owni.fr/?p=41828 David Buckingham est professeur d’éducation à l’Institute of Education (IoE) de l’Université de Londres, où il dirige le centre d’étude des enfants, des adolescents et des médias. En décembre dernier, il a effectué une intervention à Bruxelles dans le cadre de la conférence “L’éducation aux médias pour tous”. Cette rencontre était destinée à préparer la déclaration pour l’éducation aux médias tout au long de la vie, dévoilée officiellement ce jeudi 3 mars [pdf].
Il réfute la dichotomie anciens/vieux médias et online/offline, trop simpliste pour expliquer la donne actuelle, en particulier l’engagement citoyen.

Aux vues des derniers travaux effectués dans le cadre de la conférence de Bruxelles, pensez-vous que l’on va dans la bonne direction ? Ne craignez-vous pas que cette déclaration, non contraignante, reste lettre morte ?

Je suis un peu sceptique (rires) sur ce genre de grande discussion européenne. J’ai le sentiment que les gens se réunissent à l’occasion de ces conférences pour parler de Media Literacy, d’éducation aux médias, nous concevons des déclarations que nous signons, des chartes, des déclarations, etc. Mais en réalité souvent il est difficile de savoir si cela va vraiment conduire à des actions concrètes. Je pense que si nous pouvions mettre en avant ces documents et affirmer qu’à la Commission européenne ou à travers l’Europe il y a un mouvement pour l’éducation aux médias afin que dans chaque pays les gouvernements prennent enfin cela en compte alors peut-être nous pourrions faire la différence. Mais je pense que sur ce sujet là, trouver un consensus européen aussi large a ses limites.

On entend souvent un discours pessimiste sur les jeunes, qui seraient en retrait du débat politique. Partagez-vous ce point de vue ?

Il y a beaucoup de signes en Grande-Bretagne en ce moment montrant que les jeunes sont très intéressés par les usages civiques et sociaux. Ces dernières semaines, j’ai participé à de nombreuses manifestations avec des jeunes en colère qui exprimaient très bien leurs points de vue et protestaient contre les coupes budgétaires dans les services publics et les universités. Il me semble donc que c’est une généralisation de dire que les jeunes ne sont pas intéressés par les sujets civiques et politiques mais je pense que cela dépend de la manière dont vous regardez les évènements.

Je dirais que les jeunes ont souvent un point de vue négatif sur la politique et les hommes politiques, mais je ne pense pas que cela signifie qu’ils ne sont pas intéressés par les questions politiques. Mais souvent les façons dont ils manifestent leur intérêt sont assez différentes des manières traditionnelles de parler de politique.

Lorsque nous effectuons nos recherches, une des questions que nous devons nous poser est: où faut-il regarder pour trouver l’activité civique et politique ? Si vous regardez uniquement les canaux officiels, traditionnels et établis – les partis politiques, les parlements de jeunes, vous ne trouverez pas beaucoup de jeunes intéressés mais si vous élargissez votre champ de vision, vous constaterez que les jeunes peuvent être très engagés sur des sujets politiques précis. Parfois des sujets qui les touchent directement, chez eux, par exemple les protestations étudiantes en Angleterre. Ils peuvent aussi être très engagés sur des sujets qui semblent plus lointains, sur le développement de la planète, la guerre dans d’autres pays, etc.

Pensez-vous que la technologie soit la panacée magique qui donnera naissance à cette nouvelle citoyenneté ?

Non, je pense que les gens inquiets de l’éloignement des jeunes du débat politique voient parfois dans la technologie la solution magique au problème. Ils pensent que d’une manière ou d’une autre, si les jeunes utilisent la technologie, ils seront fascinés. Mon sentiment est que certains jeunes, et aussi certaines personnes plus âgées, sont intéressés par la technologie en elle-même. Mais si la plupart des jeunes sont intéressés par ce que la technologie peut faire, ils ont besoin d’autres motivations pour s’engager sur des sujets civiques et politiques. La technologie seule n’est pas une motivation suffisante.

Concrètement, comment mettre à profit l’extraordinaire potentiel d’Internet pour que les jeunes prennent plus part au débat ?

Il existe des exemples intéressants rencontrés lors de nos recherches, d’organisations qui utilisent Internet de façon créative avec les jeunes. De façon générale, je dirais qu’il s’agit d’utiliser le potentiel participatif, de fournir aux jeunes l’opportunité de dialoguer, de faire des médias et de les distribuer, donc des sites qui permettent de mettre des commentaires aux posts de blogs, des vidéos, des photographies.

Ce potentiel participatif est important mais je dirais que cette possibilité ne suffit pas pour qu’il y ait de la participation. Les gens ont besoin d’être motivés, ils doivent avoir une raison pour franchir le pas. Nous voyons plein de plate-formes qui disent “Exprimez-vous !” et qui sont vides car les gens n’ont pas de raison de s’exprimer. L’Internet en lui-même ne fait pas la différence, il est nécessaire qu’il y ait une relation entre ce qui se passe online et offline et souvent ce qui les engage, c’est ce qui se passe offline.

Vous soulignez justement l’importance du offline, un discours que l’on n’entend pas souvent…

Oui, prenez ce qui se passe en ce moment en Grande-Bretagne avec les étudiants. Ils utilisent massivement Internet, notamment les sites de vidéos comme Youtube, auxquels ils ont recours pour communiquer sur leurs groupes Facebook, ou encore leurs téléphones portables. Les gens qui sont actifs à ce sujet utilisent la technologie de toutes sortes de façons. Mais ce qui compte pour eux c’est en fait de manifester physiquement à un endroit pour faire entendre leurs voix. D’une certaine manière, les vieux médias, télévision, journaux, sont une bien meilleure façon d’engager les gens qui sinon ne le seraient pas.

Je pense donc qu’il est nécessaire qu’il y ait une relation dynamique entre l’engagement en face-à-face, l’utilisation des nouveaux mais aussi des anciens médias. L’Internet, c’est très bien pour les activistes, les gens déjà engagés et impliqués, mais pour toucher ceux qui le sont moins, il vaut mieux utiliser la télévision.

On pourrait reprocher un certain élitisme à l’éducation aux médias ; il y aurait des buts nobles, dont la citoyenneté active, et les autres… En France, on parle de Culture avec un “C”, le point de vue anglo-saxon des “cultural studies” diffère, non ?

Oui, et mon point de vue est celui des cultural studies, pour moi l’éducation aux médias, c’est s’intéresser à la culture populaire, aux expériences des jeunes à ce sujet hors de l’école et amener cela à l’école et le considérer comme une expérience valide. Il ne s’agit absolument pas de dire qu’une culture est valide et de les faire s’intéresser à une meilleure culture.

Media literacy is only part of the story” pour vous, dans ce contexte, est-ce que l’État, qui finance en partie l’éducation aux médias, a intérêt à développer une citoyenneté active ? Des citoyens mieux éduqués, ce sont des citoyens plus critiques… Cf. le débat sur la constitution européenne.

Il y a beaucoup de rhétorique à propos de la citoyenneté active, personne ne serait d’accord avec une citoyenneté passive et si vous en discutez avec la plupart des hommes politiques, ils vous diront que c’est important que les gens s’engagent dans le processus politique. Mais vous observerez que lorsque les gens s’engagent dans le processus politique, les hommes politiques très souvent n’aiment pas ça. Ils vont parfois leur demander leur opinion, ils vont essayer de les consulter mais au final ils ne les écoutent pas vraiment. Ou quand ils s’engagent, ils sont punis.

Une fois encore, les manifestations sont un très bon exemple. J’y étais en novembre dernier, les gens n’avaient pas été violents du tout, mais ils ont été contenus par la police comme du bétail, dans un petit espace, et ont été écrasés tous ensemble sans raison valable. Nous exercions notre droit à protester et nous avons été punis pour cela. Il y a trois ou quatre ans, j’ai fait partie de ces millions de gens qui ont participé à la grande marche de Londres, pour exercer notre droit et exprimer notre opinion sur la guerre en Irak.
Nous avons tous été complètement ignorés. Les hommes politiques veulent que les gens votent et se comportent d’une façon correcte et respectable mais dès qu’ils vont plus loin, qu’ils veulent exercer leurs droits démocratiques comme manifester pour faire entendre leur voix, souvent les hommes politiques ne sont pas intéressés, en dépit de ce qu’ils disent.

Manifestation des étudiants "Fuck Fees" Londres 2010

Vous faites le parallèle entre la façon dont les professionnels du marketing approchent les consommateurs et la façon dont les gouvernements et les organisations approchent les citoyens avec la Media Literacy, en utilisant des outils et un vocabulaire presque similaire, la notion d’empowerment et les médias sociaux par exemple. Quelles seraient les solutions pour une éducation aux médias indépendante ?

Empowerment est un terme rhétorique, un terme “feel-good” comme communauté ou citoyenneté. Les gens pensent que ce sont de bonnes choses. Un des problèmes est que ces termes ne définissent pas vraiment ce qu’ils signifient. Quand des professionnels du marketing parlent d’empowerment, c’est une forme très superficielle d’empowerment. Il existe un paradoxe. Quand les pros du marketing parlent d’enfants et de jeunes gens, ils affirment qu’ils veulent  donner de l’empowerment, qu’ils puissent avoir leur mot à dire, le droit des enfants à choisir. Ils utilisent de plus en plus de méthodes interactives, qui demandent de la participation. Mais tout cela reste superficiel.

Durant votre dernière conférence, vous avez dit que la frontière entre le marketing et les médias s’estompe, s’agit-il du plus grand défi de l’éducation aux médias dans notre société ?

Oui, je pense que l’une des questions clefs aujourd’hui est qu’il est très difficile de faire la distinction entre médias et marketing. Si nous regardons les jeux les plus populaires auprès des enfants, les Pokemon sur lesquels j’ai fait une étude par exemple, Harry Potter , ou lesHigh School Musicals, tout est du marketing, une forme de publicité. Quand nous voulons nous intéresser aux médias en classe, nous prenons des textes sur le sujet que nous déconstruisons et analysons. C’est assez pointu mais les enseignants, pour la plupart, sont à l’aise avec ce type de travail. Les professeurs qui enseignent la littérature et savent comment analyser de la poésie, peuvent très bien le faire pour la publicité ou la fiction. Mais les professeurs sont démunis dès qu’il s’agit d’expliquer comment l’industrie et les processus commerciaux par lesquelles ces choses sont produites fonctionnent.

Comment faire pour les aider ? Que peuvent faire les gouvernements, les associations ?

En tant que formateur pour les enseignants sur ces sujets, je me rend compte qu’ils ont effectivement besoin de formation. Mais pour moi, la responsabilité la plus grande repose sur les gouvernements et les organisations qui régulent les médias. Mais c’est aussi aux organisations de médias elles-mêmes d’informer les gens sur ces sujets.

Crédit photo via Flickr dblstripe [by-nc] Andrew Moss [cc-by] ; The shifted Librarian [cc-by-nc-sa]

La page de David Buckingham [en] sur le site de l’IoE

Retrouvez notre dossier sur la déclaration de Bruxelles sur l’éducation aux médias tout au long de la vie

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Ebook: le cahier éducation 2010 http://owni.fr/2010/12/27/ebook-education/ http://owni.fr/2010/12/27/ebook-education/#comments Mon, 27 Dec 2010 17:37:47 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=40138 Pensée dans nos pays développés selon un modèle top-down – le professeur > les élèves – l’éducation trouve l’Internet sur son chemin depuis quelques années. Ce douloureux problème serait-on tenté de dire, en ne se fiant qu’aux reportages anxiogènes diffusés dans les médias mainstream.
Pourtant, et les études le montrent, Internet n’est pas ce lieu de perdition qu’hantent des armées de pédophiles masqués en quête de chair fraîche. Non, Internet, c’est un outil fantastique, les jeunes sont les premiers à le voir ainsi, pour apprendre, ce dont l’institution prend conscience petit à petit. Plutôt que de s’adonner à la politique de l’autruche, à grand coup de filtrage, certains enseignants innovent dans leur pédagogie pour intégrer les Facebook, YouTube, blogs et autres Twitter. La culture du partage qui a fleuri sur le Net vient aussi reposer la question du concept même de transmission des savoirs : nos écoles sont pleines de petits “plagiaires” qui s’ignorent.
Loin de nous l’idée que le réseau puisse se substituer à l’être humain dans le processus de transmission : la dimension humaine reste primordiale.
Finalement, le véritable danger de ce que l’on nomme dans le jargon enseignant les TICE – technologie de l’information et de la communication pour l’enseignement -, c’est peut-être l’usage comptable que l’on peut en faire, dans une optique de gestion managériale de l’éducation. Car contrairement au fameux inconnu de Facebook, ce n’est pas un aspect souvent évoqué.

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Qui a peur de l’entrée des réseaux sociaux en classe? Les élèves! http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/ http://owni.fr/2010/12/08/qui-a-peur-de-l%e2%80%99entree-des-reseaux-sociaux-en-classe-les-eleves/#comments Wed, 08 Dec 2010 07:30:44 +0000 Laurence Juin http://owni.fr/?p=38442 De quoi avons nous peur dans la pratique des réseaux sociaux en classe ?

Suite à la table ronde à laquelle j’ai participé pour Le Café pédagogique à #Educatice, j’ai été interviewée par France Inter à ce sujet.

Dans ce reportage, ont été aussi interrogés des lycéens sur le même thème : leurs avis sur la question sont unanimes : il ne faut pas faire rentrer les réseaux sociaux à l’école. Ce n’est pas leur place, ce n’est pas sérieux.

C’est l’avis des lycéens et d’un très large public d’adultes, enseignants ou non.
Une peur populaire sur les réseaux sociaux du Net se généralise et globalement sur l’Internet, Facebook en tête. À chaque fois que Facebook est abordé dans des réunions pédagogiques et globalement dans les médias, c’est pour évoquer tous les abus, dégâts, dérives engendrés par la pratique d’un tel média. Le sommet a été atteint médiatiquement avec les « apéros Facebook » au printemps.

Les adolescents, comme la société, ont assimilé cette idée du média social du Net. C’est leur moyen de communication (après le sms) privilégié mais ils veulent le garder du domaine du privé.

Un espace de jeu mais pas de travail

Facebook et de façon plus générale le réseau social du Net représentent pour eux une terre privée et terre de danger dénuée de tout sérieux : c’est un espace de jeu mais surtout pas de travail. Impression donnée par leurs propres pratiques et par la diabolisation engendrée par les médias.

Pour présenter « Twitter en classe » à mes élèves, je constate deux réactions qui s’opposent :

1) L’élève se réjouit qu’on parte de ses pratiques numériques : que le micro-blogging de type Facebook puisse entrer dans ses pratiques scolaires, qu’un enseignant ne diabolise pas son moyen de communication favori et généralement Internet.

2) Mais l’élève est méfiant et a peur : il sait quelles dérives le microblogging engendre (parfois il pratique ces dérives, parfois il les subit des autres) et ne cesse d’entendre combien Internet et en particulier ces réseaux là sont dangereux. Les médias lui disent, l’institution scolaire lui répète ! Facebook est bloqué dans la plupart des établissements scolaires.

J’ai pu rapidement convaincre mes élèves de l’intérêt de la pratique pédagogique de Twitter. Parce qu’ils n’utilisent pas personnellement ce média. Twitter, je le sais, reste et restera pour ces promotions un média sérieux et scolaire du fait de l’usage que j’en ai imposé. Il y a donc différenciation complète dans leurs esprits et dans leurs pratiques.

J’ai décidé pour les deux années scolaires à venir d’étendre nos usages en classe en partant de leurs usages personnels. Pour deux raisons :

  • Toujours cette volonté de les éduquer à l’Internet.
  • Et parce que je suis partie du postulat suivant : partir de leurs usages personnels permet une meilleure implication de l’élève. C’est aussi « confortable » pour l’enseignant : partir de leurs usages permet de sauter la période de formation à l’outil (gain de temps estimable !) et surtout permet de valoriser les compétences de l’élève : le savoir ne vient pas que de l’enseignant. L’élève se pose formateur pour les élèves les plus faibles dans ces pratiques (inversion souvent des rôles du « plus fort » et du « plus faible ») Ainsi j’ai décidé en plus de Twitter de leur faire créer des pages Facebook sur des évènements que nous organisons au lycée (expositions mises en place, concours de poésie etc.), un blog sur leurs écrits en français, une boite mail active de classe, des Google-docs, du travail collaboratif avec EtherPad, des publication de vidéos sur YouTube, des CV vidéos pour leurs recherches d’emploi, de stage ou recrutement en écoles post bac. Les réseaux sociaux, YouTube, le mail, le blog sont leurs principales pratiques. Nous agrégeons des pratiques comme EtherPad et les CV vidéo. Il en est là de la partie formation qu’incombe à l’enseignant : ne pas laisser l’élève à son niveau personnel de connaissances et de formation mais bien l’élever stricto sensu. Toutes ces pratiques restent sous la thématique de l’éducation à l’Internet et de la construction d’une identité numérique positive de l’élève. Dans le cadre d’une séquence sur l’autobiographie, je leur ai fait écrire des textes à la manière de François Delarozières (chef des « machines » de Nantes). L’objectif final étant de les faire se filmer avec des smartphones à la manière de cette vidéo. J’avais prévu le stockage de ces vidéos sur YouTube. Ces vidéos doivent servir d’autobiographies et donc de présentations dans le cadre de nos échanges via Twitter avec les étudiants indiens de David Cordina à l’Alliance Française de Bombay Chaque vidéo doit identifier l’élève qui a réalisé le mini-film et l’élève filmé.
  • Je me heurte pour le moment à une résistance forte de plusieurs élèves pour cette diffusion. Ils argumentent qu’ils ne veulent pas se retrouver « sur Internet », que cette vidéo pourra nuire à leur image etc. J’ai été confrontée à la même opposition lors de la création de leur compte Twitter : je leur ai demandé de mettre en pseudo leur prénom et leur nom et en avatar une photo d’eux. Certains ont refusé ces règles.

Je mène un long travail de persuasion sans savoir si je gagnerai : je suis confrontée à l’élève qui a peur alors que nous sommes dans un processus raisonné et accompagné. Phénomène que je n’ai pas connu l’année passée avec la première classe tweeteuse. Mes élèves cette année sont plus jeunes d’au moins deux ans avec un niveau de réflexion beaucoup moins mature. J’avais des pré-adultes, j’ai cette année de vrais adolescents. Ils sont nés sur Internet sur les derniers relents de Skyblogs et en pleine médiatisation de Facebook. Médiatisation et diabolisation. Les reportages, les émissions comme Envoyé spécial en février, CANAL+ en septembre, des articles de presse comme celui de Télérama ne pointent que sur les aspects négatifs de l’Internet. Rarement les médias « grand public » pointent sur les aspects positifs, sur les avancées sociales, pédagogiques que l’Internet permet (alors que tous les journalistes travaillent aujourd’hui et ne pourraient se dispenser d’un tel outil de travail !).

Focaliser uniquement sur les adolescents, une grave erreur

Nous partons aujourd’hui d’un lourd constat qu’il ne faut surtout pas nier et occulter : personne n’a été formé aux usages de l’Internet et en particulier aux réseaux sociaux du Net type Facebook. Les dérives, les dégâts sont lourds lorsque mal utilisés. Ce procès récent montre que les adultes sont largement concernés par ces dérives. Focaliser uniquement sur les adolescents serait une grave erreur. Aujourd’hui les plus mauvais utilisateurs de l’Internet sans réflexion, sans recul, sans prise de conscience sont les adultes.

S’il est difficile, voir impossible de former les adultes, c’est totalement possible pour les élèves des petites classes jusqu’aux études supérieures.

J’ai à convaincre des adolescents que tout est possible sur Internet : le pire est à éviter, le meilleur est à construire de façon raisonnée. Si un futur employeur tape le nom d’un de mes élèves sur « Google », il trouvera (aussi !) des travaux de français, de logistique, des échanges via Twitter à propos des cours, des vidéos de présentation, des pages Facebook sur une expo photo à laquelle il aura participé, un concours de poésie qu’il aura gagné. Une identité numérique Positive.

À suivre !

Billet initialement publié sur Ma onzième année

Image CC Flickr aleeed et rishibando

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Les liaisons numériques dangereuses http://owni.fr/2010/11/29/les-liaisons-numeriques-dangereuses/ http://owni.fr/2010/11/29/les-liaisons-numeriques-dangereuses/#comments Mon, 29 Nov 2010 07:30:18 +0000 Serge Soudoplatoff http://owni.fr/?p=37399

Lorsque je suis sollicité pour faire des conférences sur les ruptures induites par Internet, il arrive que l’on me demande de parler des dangers de l’Internet.

Cela avait commencé il y a quelques années, lorsque j’avais été demandé sur ce sujet dans une émission de télévision semble-t-il connue, animée par Delarue, « Ça se discute ». J’avais alors répondu que ce sujet n’était pas très intéressant en tant que tel, et que, paraphrasant mon ami André-Yves Portnoff, le seul grand danger de l’Internet est de ne pas y aller.

Cette émission fut d’ailleurs bizarre : une collection hétéroclite de « drames » humains. Une femme qui montrait ses seins devant une webcam; une mère dont l’enfant passait 17 heures par jour à jouer en réseau ; une enseignante qui quintuplait son salaire en se prostituant luxueusement (le lien avec l’émission ? Elle trouvait ses clients grâce à Internet…) ; une femme qui avait découvert l’âme sœur sur Meetic, et qui au bout de trois mois d’échanges d’emails passionnés, passe enfin deux heures folles à partager physiquement, les yeux bandés, avec son amant virtuel devenu réel pour découvrir au bout de ces deux heures que c’était une autre femme… Bref, la vie telle qu’elle existe depuis longtemps. J’avais d’ailleurs rappelé que, par exemple, les emails amoureux n’étaient que de pales copies des échanges entre George Sand et Alfred de Musset, ce qui avait engendré dans les yeux de Delarue un moment de découragement (« eh bien, elle est intellectuelle cette émission ! », s’était-il exclamé…).

Internet est neutre

Il faut rappeler un fondamental : Internet est un média neutre. Dans sa construction même, il avait été décidé de ne mettre aucune intelligence dans le réseau, et de reporter cette intelligence aux extrémités. La pensée originale, à savoir le peer-to-peer, avait imposé un schéma dans lequel le réseau routait avec égalité tous les paquets et ne s’intéressait pas à leurs contenus. Cette fameuse « neutralité du Net », qui fait débat actuellement, était l’antithèse des réseaux des opérateurs de télécommunication, qui encore aujourd’hui implémentent le concept de classe de service, c’est-à-dire de priorité des communications les unes par rapport aux autres. La qualité totale sur laquelle sont bâtis les réseaux de télécommunication classiques impose effectivement une logique de rareté, à savoir que la ligne est ouverte et réservée même si rien ne passe dessus, logique de rareté qui impose de faire des priorités. Internet, à l’inverse, est basé sur le principe d’abondance, et donc de partage égalitaire.

Donc, Internet transporte indifféremment ce qu’on lui injecte. La beauté passera dans le réseau sans aucune priorité sur la laideur. L’intelligence et la bêtise y sont  transportées de manière équivalente. Où se fait alors le filtre ? Aux extrémités. Ceci est vrai pour la technologie, mais aussi pour l’usage. C’est à l’utilisateur de faire la différence entre le bien et le mal. Celui qui s’intéresse au conflit du Golfe par exemple n’a aucun problème à ouvrir à la fois CNN, Al Jazeera, et un forum de discussion, et à se faire sa propre idée.

Une conséquence directe est cette proposition qu’Internet rend évidente : beaucoup de vérités sont contextuelles.

Une autre conséquence est rassurante : le réseau contient aussi l’antidote. Lors de l’émission de Delarue, le vrai drame était une femme dont la fille s’était pendue après avoir surfé sur des sites gothiques. J’ai respecté en direct ce cas, mais j’ai eu une discussion à la suite avec la mère, qui au début en voulait à Internet, pour à la fin me dire qu’elle s’en était sortie en fondant une association de parents, et qu’elle avait créé des liens avec d’autres associations dans le monde, grâce, bien sûr, à Internet.

Alors, quels sont les dangers de l’Internet ? J’en vois trois principaux.

Le premier est effectivement de ne pas y aller, d’ignorer le phénomène. De faire comme si Internet était une simple technologie, qui ne remet pas en cause certains fondamentaux. De ne se contenter que de l’email par exemple.

Le deuxième est de s’y opposer. Déclarer que Wikipedia est de mauvaise qualité, comme une de mes étudiantes me l’avait affirmé (cf. ma réponse ici). Déclarer que « dans Internet, il n’y a que des emmerdeurs », comme me l’avait dit en 2006 un directeur marketing d’une entreprise du CAC40. Sans parler des lois sur le filtrage qui ne sont pas seulement l’apanage de la France, même si nous sommes, pour une fois, plutôt en pointe sur ce sujet, hélas.

Le troisième est de ne pas se transformer. Pour aborder Internet et en tirer le meilleur, il déjà faut se former. Les élèves des écoles devraient être formés, non pas aux dangers de l’Internet, mais à son mode d’emploi. Les salariés des entreprises devraient tous avoir des cycles de formation au numérique, à l’instar de ce que fait Lippi. Puis il faut se changer, au niveau individuel mais aussi au niveau collectif. Les entreprises et les administrations doivent se mettre en mode 2.0, et tant pis si ce concept est flou, au moins il force à réfléchir. Internet s’est construit sur la base de consensus grossier, sans planification. Le résultat est deux milliards d’individus interconnectés en moins de vingt ans.

À part ces trois dangers, je ne vois pas d’autre réelle menace différente de ce que la vie nous réserve, lorsqu’elle est cruelle et brutale. Simplement, Internet est un extraordinaire amplificateur des sentiments humains, bons ou mauvais, et c’est cela qu’il faut, avant tout, retenir.

Internet, parce qu’il met en commun une intelligence qui se situe aux extrémités, est le contraire du pouvoir central qui « pense » à la place des autres. Internet, quelque part, favorise plus une éthique que la morale.

Ce n’est pas l’attitude la plus facile. Mais, pour paraphraser un moment important du film Himalaya, l’enfance d’un chef : « Lorsque deux chemins se présentent à toi, choisis toujours le plus difficile. » C’est sur ces chemins que l’on apprend le plus.

Les chemins de l’Internet sont complexes, profitons-en.

Billet initialement publié sur La rupture Internet

Image CC Flickr AlmazUK

À lire aussi Nadine Morano et Internet: “le danger est à l’intérieur de votre maison” ; Non, elles n’ont pas rencontré leur agresseur sexuel sur Internet ; Internet et les jeunes : désole ça se passe plutôt bien

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Filtrage du Net: l’école a pris l’option autruche http://owni.fr/2010/10/07/filtrage-du-net-lecole-a-pris-loption-autruche/ http://owni.fr/2010/10/07/filtrage-du-net-lecole-a-pris-loption-autruche/#comments Thu, 07 Oct 2010 12:03:18 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=19557 Introduit dans la loi de 2005, le socle commun de connaissances et de compétences voulu par l’Éducation nationale

“constitue l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen.”

Y figure “la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication : chaque élève apprend à faire un usage responsable des technologies de l’information et de la communication (TIC). L’acquisition du Brevet informatique et Internet (B2i) est nécessaire à l’obtention, en fin de troisième, du Diplôme national du brevet (D.N.B.).”

Et c’est là que le bât blesse : la politique de filtrage mise en place dans les académies et établissements ne semble pas aller dans ce sens. Si l’Éducation nationale stipule à juste titre que “le développement de l’usage de l’internet [...] doit s’accompagner des mesures de formation et de contrôle permettant d’assurer la sécurité des citoyens et notamment des mineurs”, il est courant que le filtrage dépasse le simple respect de la loi. Quant à la formation…

La politique de l’autruche serait plutôt la tendance, à des degrés variables selon les académies voire les établissements.

Plusieurs niveaux de gestion

Comment marche le filtrage? Il n’y pas de politique nationale mais une gestion sur trois niveaux. Premier étage, les black lists de l’Université Toulouse 1 Capitole. Elles servent de référence en attendant une hypothétique liste nationale annoncée mais toujours pas mise en place. Pour le moment, c’est vers celle de Toulouse qu’elle dirige de fait.

Aux manettes, Fabrice Prigent, responsable service système. Il est à l’origine de cette liste, la première du genre en France : “Avant que je ne la commence, on trouvait des listes anglo-saxonne, explique-t-il. L’éducation nationale s’est rendue compte que les gens utilisaient la mienne, le ministère m’a contacté pour qu’elle soit liste de référence.”

Visiblement habitué à des remarques suspicieuses sur le terme “black list”, Fabrice souligne qu’il s’agit plutôt d’une “catégorisation” et qu’il exécute ce qu’on lui demande, point barre.

Exemple:

la catégorie blog est une demande du ministère, car certains étaient inquiets. C’est une catégorie compliquée, on va trouver de tout, je l’ai rempli avec les grands blogs

Quelle est la pertinence d’un tel classement, qui plus est lorsque la peur motive la décision?  N’y aurait pas en arrière-plan un a priori défavorable envers le blog ? Du coup, c’est un fourre-tout hétéroclite qui va de Skyblog à blogs.nouvelobs.com en passant par… Facebook. On y trouve même des sites nominatifs, comme bribri-au-coeur-dange (sic). S’agit-il de la production d’une adolescente qui a eu le malheur de se connecter de son établissement ? Mystère…

Fabrice Prigent indique également:

C’est vrai que c’est un filtre Internet, il a surtout pour fonction de bloquer.

Il y a forcément une vérification, “de nombreux plaisantins s’amusant à envoyer n’importe quoi par l’interface de mise à jour.” Tant qu’il y en a pas trop, la vérification rapide suffit mais c’est lui qui prend la décision finale : “Je n’ai personne d’autre.”

Personne d’autre mais outil, , pornperl, qui évalue les contenus listés adult (“les sites adultes allant de l’érotique à la pornographie dure”), qui constituent la liste la plus fournie. Si la note donnée par Pornperl est haute, le site est directement blacklisté, sinon, Fabrice vérifie. “Le doute profite à la protection”, précise-t-il. Il est parfois contacté directement par des gens qui lui signalent une correction.

Quel est le profil de ces contributeurs? “Il ne s’agit pas des professeurs mais de gens comme moi, des responsables informatiques en réseau qui trouvent pertinent d’alimenter la liste. Cet ensemble d’utilisateurs-contributeurs fait que cette liste semble correspondre à la majorité des besoins”, juge-t-il. Il dit apprécier la philosophie du libre “par pragmatisme : c’est mieux de répartir la tâche et les regards.”

Sauf que les regards ne semblent en l’occurrence pas vraiment partagés.

Une salle de classe sous le regard attendri de Tux: une utopie?

Une gestion fine… à condition de s’en occuper

L’enjeu se situe en fait aux niveaux inférieurs : les outils disponibles permettent une gestion fine, poste par poste, par tranche horaire. Outre les listes de Toulouse, il est possible de rajouter au niveau local un blocage par mots-clés, dont on connaît la limite : “sexe” peut tout aussi bien être une requête pleine d’hormones que studieuse, dans le cadre d’un cours de sciences naturelles. Enfin, un site en particulier peut également être intégré dans le système de blocage, au cas par cas.

Il existe plusieurs systèmes. DIR300-ENR est plutôt recommandé dans les écoles primaires et les petits établissements. Dans le secondaire et les universités, deux systèmes officiels sont utilisés. Entre les deux c’est une “guerre” feutrée. D’un côté, on a le SLIS, développé par l’académie de Grenoble. Premier pare-feu scolaire conçu dans un but pédagogique, il existe depuis 1998. “C’est un outil développé de la base, en lien avec les pédagogues”, avance Philippe Paget, responsable SLIS à Grenoble.

En face, le système EOLE AMON, poussé par le ministère et développé par des “techos”, à partir de 2000. Des techos accusés de développer un outil à visée administrative, rigide, aux fonctions insuffisantes, qui ne serait pas adapté aux besoins pédagogiques. Un point de vue que réfute bien entendu le camps adverse. Cédric Frayssinet, enseignant, s’occupe des réseaux informatique dans les collèges et lycées de l’académie de Lyon. Il estime que “les différences tendent à se réduire. SLIS est peut-être plus fin, mais plus complexe aussi. Il n’y a pas de grosses différences.”

Une judiciarisation qui favorise le principe de précaution

Si l’école pose des objectifs en matière d’Internet, il existe en face des lois. De jure, la pornographie est interdite au moins de 18 ans, on ne peut proférer des propos racistes, faire l’apologie du nazisme… Certaines CGU posent des restrictions à l’usage:  Facebook est interdit au moins de 13 ans, ce qui en interdit de jure l’usage par des 6ème et des 5ème…

En cas de pépin, la responsabilité en revient au chef d’établissement et éventuellement au professeur. Dans un contexte de judiciarisation -certains parents ont le procès facile-, “on devient parano , analyse Aka, professeur de mathématiques et membre de Framasoft, le filtrage est l’exemple d’une dérive liée au principe de précaution poussée à l’extrême.” Si on lui demande ce qu’il ferait s’il était chef d’établissement, il répond : “le filtrage, pour avoir la paix”. Mais comme professeur, c’est l’ouverture qu’il préfère sans barguigner. Il cite l’exemple d’un de ces anciens établissements dont les élèves avaient créés un groupe “je hais tel professeur”. Les faits n’avaient pas eu lieu dans l’établissement, n’empêche, c’est Facebook dans son entier qui a été banni.

Il souligne aussi le rôle des médias mainstream dans la crainte liée à l’Internet, toujours prompts à monter en épingle des faits divers anecdotiques. Un peu de bon sens, comme le demande Jean-Marc Manach :

lit-on, dans le même temps, [...] “violée à cause d’un bistrot”, “licencié à cause de Facebook” ?

“Le respect de la loi est d’abord le même que le FAI -obligation de conserver les traces pendant un an et de les fournir sur requête-, complète Bruno Devauchelle, formateur chercheur au CEPEC (Centre d’Études Pédagogiques pour l’Expérimentation et le Conseil) de Lyon, spécialiste des TICE. C’est aussi ce qui concerne l’accès des jeunes aux contenus, mais là les choses sont beaucoup plus floues sur la loi. Là encore filtrage est trop restrictif (cf sécurité, contrôle, suivi, etc.).”

Luc Bourdot, qui travaille sur AMON, justifie aussi cette prudence a priori : “Il y a une absence de séparation entre vie privée et vie professionnelle (en l’occurrence scolaire, NDLR). On a donné tôt un e-mail aux élèves. Dessus, l’élève mineur peut recevoir des messages à caractère privé si l’outil est ouvert sur l’extérieur, ce qui peut poser problème.”

“Tant que la sécurité est assurée, c’est le principal“, analyse Philippe Paget. Il se souvient d’une journée de formation assurée par un cabinet de consultants d’avocats : ” ‘Bloquez tout vous serez tranquille en cas de problème’, voilà le discours général”. Ce à quoi les développeurs de SLIS répondent  : “trouvez-nous le texte de loi qui corresponde”. Pas facile, en l’absence de jurisprudence consistante… Grenoble, “qui passe pour des non-conformistes” selon Philippe Paget, “bloque a minima”, juste ce qu’il faut pour respecter la loi dans le domaine.

Absence de politique nationale

La situation est clairement variable dans les académies et les établissements. “Dans les académies, cela peut changer d’une semaine à l’autre. C’est décidé par quelqu’un à qui on a confié les clés mais qui souvent n’y connait rien, indique Michel Guillou, adjoint au Conseiller TICE du Recteur de l’Académie de Versailles. Lorsqu’AMON est en place, il est alors beaucoup plus difficile de changer les réglages par défaut. Il s’agit souvent d’un local fermé à clé sous la responsabilité du chef d’établissement. S’il n’est pas sensibilisé à ces enjeux, le réglage est effectué une fois pour toute. Dans 95 % des cas, la liste de Toulouse est prise, sans y toucher. C’est une solution de confort.”

“Le degré de délégation varie, les académies verrouillent plus ou moins, explique Luc Bourdot. Ce n’est pas qu’AMON n’est pas adapté mais qu’on ne laisse pas la main. Le système permet de plus verrouiller au niveau académique, pour des questions d’optimisation. Mais nous, on milite pour la délégation.” Il souligne également que de leur côté, ils ont fait ce travail de formation et ont beaucoup communiqué.

Les professeurs, si l’on en croit les différentes personnes interrogées, ne mettent pas beaucoup le nez sous le capot, pour des raisons diverses. “Je n’ai pas l’impression qu’il soient beaucoup avertis sur le filtrage, qu’ils sachent qu’ils peuvent agir dessus. Beaucoup pensent qu’ils ne peuvent pas”, pense Fabrice Prigent. ‘Je prends, je coche tout et ça va’ se disent-ils, et tant que ça se plaint pas trop, on ne change pas.” Un point de vue confirmé par Michel Guillou : “1% sait qu’il y a des listes, et parmi eux, 1% que les listes peuvent être changées.”

“Les enseignants ne se mêlent pas de cela car ce sont les informaticiens qui, la plupart du temps, imposent leur vue au nom de la ’sécurité’, terme qui englobe filtrage (contenus et virus) contrôle (surveillance des flux et log) et suivi (surveillance en temps réel de certains flux, parfois sans respect de la loi)”, estime Bruno Devauchelle.

Anne Delineau, coordonnatrice académique CLEMI de Poitiers, nuance : “Les professeurs râlent mais font avec”. Il faut dire qu’ils ont d’autres chats à fouetter. Elle souligne aussi la lourdeur de la procédure dans son académie : “un professeur doit demander au chef d’établissement qui transmet à la DIR (Division Informatique et Réseau)” Nous avons demandé à ce que cela soit allégé mais c’est resté en l’état.”

“Le filtrage la majorité du temps, du moins dans les lycées, c’est les professeurs qui s’occupent de l’informatique qui gèrent, alors c’est plus difficile de faire ça finement, il faut prendre du temps, il faut être à la demande des professeurs, bref, on n’est pas forcément assez disponible pour filtrer finement, détaille Cédric Frayssinet à propos de son académie. Du coup, c’est plutôt un filtrage global par établissement, quand ce n’est pas tous les collèges d’un département entier, ce qui est le cas dans le Rhône : Facebook est interdit, administration et élèves compris. Un Facebook filtré pour des raisons de bande passante.

Car l’intérêt supposé de l’élève et la loi ne sont pas les seuls paramètres pris en compte : l’aspect financier pèse aussi. Certains sites, gourmands en bande passante, peuvent être bloqués pour des raisons d’économie. Les conseils généraux, en charge des collèges, et les régions, en charge des lycées, n’apprécient pas forcément de rallonger la note pour permettre de surfer sur des sites qu’ils ne perçoivent pas forcément comme des outils pédagogiques mais plutôt comme un loisir. Et tant pis pour le professeur d’histoire qui a besoin d’une vidéo sur YouTube pour son cours.

Retour dans l’académie de Lyon. Chaque lycée a son réglage, l’administrateur réseau, qui est aussi un professeur, bloque tel ou tel site à la demande des professeurs. “C’est essentiellement les documentalistes qui s’intéressent au sujet parce que dans les CDI il y a pas mal de postes en accès libre en midi et deux, ou pendant les pauses. Ils sont plus au fait des usages que les profs, qui sont dans les classes et surveillent leurs élèves. Le blocage global est problématique pour l’éducation numérique, rajoute-t-il, conscient des enjeux, comme l’usage des réseaux sociaux par exemple. Parfois des association viennent dans les collèges, ce tout ou rien est gênant.”


Et si on formait ?

Car c’est là la vraie question. Le guide pratique de l’accès à Internet affirme que “toute mise à disposition de documents suppose un choix et donc une sélection dans le fond comme dans la forme vers l’intérêt de l’élève.” Quel est l’intérêt de l’élève ? Le mettre dans une bulle artificielle, sans lui donner les moyens d’apprendre à maîtriser les outils ? Inciter à hacker les outils dans un but pédagogique ? La circulaire du 18 février 2004 réaffirme “le rôle majeur de l’école pour lutter contre la fracture numérique et proposer un accès à ce savoir pour tous nos élèves.” On sait l’importance d’une bonne gestion de l’e-reputation, par exemple. Pour aider les jeunes à maîtriser cette dimension, l’Éducation nationale choisit de blacklister Facebook et Twitter.

Michel Guillou déplore ainsi l’absence de “réflexion cohérente sur les enjeux de l’éducation aux médias. Celle-ci est encore trop axée sur les outils anciens, radio, télévision, PQR. Les plus sensibilisés sont les documentalistes. Actuellement, c’est une politique de l’autruche, on pense que le travail est fait vis-à-vis des parents parce que les tuyaux sont protégés, mais on ne se pose pas les vraies questions.”

Aka va dans ce sens : “Il n’y a pas de discussion avec les acteurs, dénonce-t-il. Tout se fait en haut, dans une logique top-down.” S’il confirme une absence générale d’intérêt, ce constat est logique selon lui vu ce contexte : “c’est le serpent qui se mord la queue”. Il en appelle du coup à un débat transparent :

ouvrons un espace de discussion sur le filtrage !

La vraie question pour lui, c’est : “Quelles conséquences pour les enfants ?” À l’écouter, on est en droit de penser que les risques d’un filtrage excessif sont peut-être plus forts que ceux liés à une trop grande ouverture des vannes. “Aujourd’hui les gamins sont démunis”, explique-t-il. Pour être nés avec une souris dans les mains, les enfants et les ados d’aujourd’hui n’en sont pas pour autant des digital literacy… La fracture numérique n’est pas qu’une question d’équipement mais aussi d’alphabétisation. Si l’école ne la prend pas en charge cette alphabétisation ? Et si filtrer il faut, car cela peut effectivement être utile dans certains contextes, “expliquer les raisons”, souligne Aka.

La pédagogie, c’est le parent pauvre

résume Philippe Paget. Lui estime que l’académie de Grenoble est bien lotie car les enseignants ont été sensibilisés au filtrage : “Ils savent qu’ils peuvent jouer sur la bride.”

“Il ne faut pas se mettre la tête dans le sac, l’Éducation nationale devrait former dans un environnement sécurisé à l’intérieur de la communauté éducative,” prône lui Luc Bourdot, soulignant qu’ils disposent de tels outils. Mais quid de l’élève une fois qu’il est chez lui devant son ordinateur ?

Anne Delineau pointe aussi le manque de moyens humains : éduquer, cela demande du temps et des hommes formés. Dans le contexte de réduction de postes, pas sûr que ce manque soit comblé…

Cédric Frayssinet indique aussi que le filtrage par identifiant, qui permet de filtrer par profil, qui arrive petit à petit, devrait améliorer la situation. In fine, chaque professeur gérerait le filtrage comme il l’entend dans sa classe. Mais règle-t-il la question de l’éducation…

Contourner le blocage ?

Rajoutons que le blocage d’un site reste toujours relatif. (Re)prenons Facebook le honni : “Je me suis rendu compte que Facebook était beaucoup plus présent que je ne le pensais : des sites y font appel avec du javascript, il était donc quand même visible”, détaille Fabrice Prigent. Ce genre de question posée sur un forum incite aussi à se poser des questions : “bonjour, nos élèves ont trouvé la faille pour accéder à certains sites bloqués par le SLIS, (ex FACEBOOK), il suffit de rajouter un “s” au http. je n’ai pas réussi à bloquer cette faille sur le slis. Je pose donc ma question : comment bloquer un site en https ?”

De quoi nuancer ces propos de Fabrice Prigent : “Contourner, c’est toujours envisageable. C’est le principe de la ceinture de sécurité, elle protège quelqu’un qui va pas chercher à aller trop loin. Je pense que c’est suffisamment compliqué pour que les enfants n’y arrivent pas.” On notera au passage le parallèle avec la prévention routière, sans nuance, est symptomatique d’une politique qui ne fait pas dans la dentelle : entre un blog nazi et Facebook, il y a une échelle de danger… Il existe aussi une chose merveilleuse qui s’appelle l’Internet mobile, c’est une tendance lourde, qui permet, ô merveille, de se connecter à YouPorn des toilettes.

En guise d’éducation, le fameux B2i n’est qu’une coquille vide guère significative, attribué en mode presque automatique puisque sa validation est obligatoire pour avoir le brevet. Du coup, le taureau est pris en main par les cornes au petit bonheur la chance, au hasard de la bonne volonté des professeurs, de leur temps, de leur appétence pour le sujet. Et pendant ce temps, nos voisins allemands vont enseigner la protection de la vie privée dans certains Länder.

Les annonces d’un certain François Fillon en 2004 semblent donc être restées au stade de la bonne parole incantatoire : “Aussi performants que puissent être les dispositifs de filtrage, ils demandent à être accompagnés de mesures de formation, de sensibilisation et de responsabilisation de l’ensemble des acteurs concernées; une solution efficace dans le domaine de la sécurité ne peut se concevoir sans l’implication des utilisateurs. Les usagers, personnels de l’Éducation nationale et élèves, doivent être infomés des spécificités de l’Internet. Cette sensibilisation et responsabilisation, qui est déjà largement engagée dans les académies, est une étape indispensable à une utilisation citoyenne de l’Internet. Elle demeure une nécessité et le fondement d’une véritable prise de conscience des problèmes éventuels.”

Concluons par une citation amusante au vue de ce panorama, du même François Fillon :

“Je vous remercie d’apporter ainsi à nos élèves les moyens de devenir des citoyens éclairés de la société numérique”

Pour ceux que les détails techniques intéressent, voici les schémas de principe pour l’académie de Lyon.

À lire aussi : Hacker la pédagogie

Crédits photos CC FlickR happy via, Extra Ketchup

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http://owni.fr/2010/10/07/filtrage-du-net-lecole-a-pris-loption-autruche/feed/ 62
Pédagogie: pourquoi Twitter et pas Facebook ? http://owni.fr/2010/09/22/pedagogie-pourquoi-twitter-et-pas-facebook/ http://owni.fr/2010/09/22/pedagogie-pourquoi-twitter-et-pas-facebook/#comments Wed, 22 Sep 2010 12:42:02 +0000 Laurence Juin http://owni.fr/?p=28831

Pourquoi Twitter et pas Facebook ?
Depuis le début de mon expérimentation l’année passée, c’est une question récurrente, qu’elle vienne de mes élèves, de la communauté éducative ou des journalistes.

Pourquoi initier des élèves à un réseau social du Net qu’ils n’utilisent ni ne connaissent même pas ?

Ce serait en effet plus simple de se fondre dans Facebook qu’ils maîtrisent et dont ils usent: aucune initiation nécessaire, adoption immédiate de l’élève. La communication serait immédiate et efficace.
Et pourtant je n’ai pas souhaité utiliser Facebook.

Avant de me tourner vers Twitter, j’ai essayé l’usage hors temps de classe de Facebook avec les élèves de @laderniereannee. J’ai effectivement constaté que la communication est immédiate, partagée et que la motivation des élèves est totale.

L’expérience a duré la période transitoire entre leur année de première et leur année de terminale. J’utilisais alors peu Facebook. Que je sois « amie » avec mes élèves m’a demandé une réflexion sur ce que je voulais mettre comme informations et photos sur mon mur. Moi oui, eux non. À la rentrée, ils ont évoqué de façon informelle une soirée qu’ils venaient de vivre me parlant de leurs tenues. Et j’ai répondu « oui je sais, j’ai vu vos photos sur Facebook ». Ils ont alors réalisé (blêmes !) que j’avais regardé TOUTES leurs photos. Ce soir là, j’ai perdu 28 « amis » sur Facebook …mais notre réseau Twitter a vraiment démarré !

Alors pourquoi Twitter et pas Facebook ?

  • Les élèves en très grande majorité ont un compte Facebook. C’est leur part de vie privée. Mon statut d’enseignante ne me donne pas accès à cette sphère, elle ne me concerne pas. Y pénétrer c’est faire perdre en partie à l’adolescent son statut d’élève et l’adulte une partie de son statut enseignant. Si l’enseignant a accès à la sphère privée de l’élève, celui-ci peut revendiquer de la même façon un accès à la sphère privée de l’enseignant !L’usage cohérent, selon moi, si l’enseignant veut utiliser ce réseau social avec ses élèves pour une application strictement pédagogique, c’est de créer des comptes strictement «professionnels » enseignant et élèves. L’adhésion des élèves sera peut-être dans ce cas plus difficile car ils s’identifient fortement à leur compte Facebook privé.
  • Utiliser Twitter permet ainsi d’entrer sur le terrain encore vierge d’un réseau social. Cette initiation pose les règles sans interférences. Les élèves utilisent beaucoup le Net et Facebook mais sans jamais y avoir été éduqués. Leur usage de Facebook peut être perverti de ces non-règles qui sont devenues des vrais codes de conduite et de communication : les profils ne sont pas protégés, leurs données personnelles sont accessibles à tous, ils postent des photos d’autres personnes sans autorisation préalable, etc.Les initier à un réseau social inconnu, c’est aussi les éduquer à un usage citoyen d’un réseau social : mettre en place des règles, à construire avec eux une réflexion sur leur identité numérique. Au fur et à mesure de cette éducation civique du Net, j’ai vu leurs profils Facebook se modifier, les élèves apprendre à mieux se protéger ou au moins à réfléchir aux informations qu’ils diffusent. Éduquer les élèves à Twitter c’est apprendre aux élèves à réfléchir à leurs usages de Facebook.
  • Le terme « amis » sur Facebook ne me semble pas adapté à un usage pédagogique. Je ne suis pas l’amie de mes élèves. Le terme abonnés/abonnements sur Twitter me convient.
  • Facebook m’apparaît comme un réseau « fermé » : on devient « amis » avec des personnes que l’on connaît a priori. L’abonnement sur Twitter me paraît plus ouvert : ce n’est pas la personne qui est ciblée mais bien ce qu’elle publie sur son mur (exceptions faites à toutes les personnes célèbres : stars, hommes politiques, sportifs). C’est ainsi que le compte classe @laderniereannee a 300 abonnés : non pas pour l’enseignante que je suis mais bien pour ce que je tweete à mes élèves.
  • Je ne stigmatise pas auprès de mes élèves le « gentil Twitter contre le méchant Facebook ». Je leur explique que j’utilise les deux mais que mon Facebook, parce qu’en partie privée, est totalement protégé. Je valorise leurs usages de Facebook mais leur indique que Twitter sera un réseau d’utilisation strictement pédagogique pour le groupe-classe et la communauté éducative. Les règles dictées par la charte d’utilisation précisent bien : ce n’est pas un tchat, ni un théâtre de discussions à caractère privé. Les communications sont moins formelles qu’en classe mais gardent toujours une vocation pédagogique, communautaire (je m’adresse de fait à tous mes abonnés) et avec des codes stricts (pas de langage sms).Par cet article, je ne tends pas à juger négativement les usages pédagogiques que des enseignants peuvent faire avec l’outil Facebook. Et je suis preneuse de toute expérience qui pourrait contre-carrer ce qui n’est que mon avis et pas une vérité établie !
Billet initialement publié sur Ma onzième année
Image CC Flickr mallix
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