OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 La Syrie à la mine de plomb http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/ http://owni.fr/2012/08/06/la-syrie-a-la-mine-de-plomb/#comments Mon, 06 Aug 2012 14:08:50 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=116681 L’Iran et la Syrie, une longue histoire. Dernier épisode de cet épopée, 48 Iraniens ont été enlevés par l’Armée Syrienne Libre, samedi sur la route de l’aéroport de Damas. Espions envoyés par Téhéran pour les uns, simples pèlerins chiites pour les autres. Avec ses traits noirs et acerbes, le dessinateur iranien Mana Neyestani chronique le conflit syrien sur sa page Facebook ou pour le site de la radio iranienne en exil Zamaneh. Il feint de s’interroger :

Comment être sauvé par un régime lui-même en perte de vitesse ?

Jusqu’ici, Bachar al-Assad a pu compter sur le soutien de la République islamique d’Iran. Mana Neyestani sourirait presque de cette alliance de deux dictatures. Lui vit en exil à Paris, après des aventures kafkaïennes racontées dans son ouvrage Une métamorphose iranienne. “Le seul langage que maîtrisent les dictateurs est la violence” explique-t-il.

Kafka à l’iranienne

Kafka à l’iranienne

Mana Neyestani, caricaturiste iranien, est l'auteur d'Une métamorphose iranienne, à paraître le 16 février. Un ...

Un alter ego syrien, le caricaturiste Ali Ferzat, a subi la répression du régime pour l’avoir trop vertement critiqué. Il y a un an, des hommes cagoulés l’enlevaient et le rouaient de coups ; ils lui brisaient les mains. Mana Neyestani lui rend hommage dans un dessin qui souligne le pouvoir du stylo contre la matraque.

“Je me demande comment Bachar peut dormir sans penser aux meurtres qu’il commet.” Sous le regard impuissant – dans le meilleur des cas – des organisations internationales. Deux dessins sont consacrés à l’ONU, que le dessinateur iranien n’épargne pas. Sur une image représentant un prisonnier sur le point de se faire exécuter, les Nations Unies choisissent de “cacher cette histoire”.

Pour le dessinateur, “c’est tellement douloureux de voir comment les Syriens se font si sauvagement massacrés par leur dictateur alors que l’ONU ne peut (ou ne veut) pas sauver les personnes innocentes.” Avec une question en suspens :

Une dictature et un massacre peuvent-ils être considérés comme des problèmes internes ?


Illustrations de Mana Neyestani, © tous droits réservés, publiées avec l’autorisation de l’auteur. Retrouvez le travail de Mana Neyestani sur sa page Facebook.

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Hacker la vie (pour la changer) http://owni.fr/2012/06/17/hacker-la-vie-pour-la-changer/ http://owni.fr/2012/06/17/hacker-la-vie-pour-la-changer/#comments Sat, 16 Jun 2012 23:58:45 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=113679

La Cantine fait salle comble pour cette 3ème journée du festival hackers Pas Sage en Seine - (cc) Ophelia Noor

Elle était pleine à craquer La Cantine. Réactive, boute-en-train, concentrée selon les heures et les interventions. Du monde a défilé du matin au soir de la troisième journée de Pas Sage en Seine, festival de hackers et des internets polissons organisés depuis jeudi dans ce haut lieu parisien des cultures numériques. Sécurité, DIY, et aussi politique, un mot avec lequel les geeks sont souvent fâchés…

C’est en tout cas ce qu’affirme d’emblée Stéphane Bortzmeyer, ingénieur à l’Afnic (l’association en charge d’attribuer les noms de domaine en .fr) et dernièrement engagé dans l’équipe de campagne du Front de gauche :

Je vais parler de politique. La moitié d’entre vous va partir au bar boire des coups, je sais. Mais je vais vraiment parler de politique.

Et ruer dans les brancards : non, les responsables politiques ne sont pas des crétins ; non, le possible contournement technique de la loi ne l’invalide pas ; oui, la loi doit être la même pour tous quelques soient les compétences des uns et des autres ; non, la qualification technique ne suffit pas à faire de bonnes législations. Oui, Stéphane Bortzmeyer veut réhabiliter la politique, celle qu’il définit comme “ce qui concerne tous les choix fondamentaux de la vie de la cité”. Il a même une formule qui sonne comme un slogan : “Hacker la politique”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Décentralisation

Ce n’est pas le frétillant porte-parole de La Quadrature du Net, Jérémy Zimmermann, qui le contredirait sur ce point:

L’heure est grave. Nous sommes face à un choix entre deux sociétés : l’une repose sur l’interconnexion des technologies pour surveiller et punir ; l’autre sur la décentralisation, le partage, la diversité et l’ouverture.

Jérémie Zimmermann (La Quadrature du Net) pendant sa conférence "Citoyenneté en ligne dans un monde post-ACTA" Sur l'écran, Richard Stallman, programmateur, militant, fondateur de la licence GNU et président de la Free Software Foundation - (cc) Ophelia Noor pour Owni

Autant dire qu’il ne penche pas pour la combinaison drones-biométrie-datamining-lois d’exception. Hacker la politique donc, en se mobilisant quand il le faut (contre Pipa, Sopa et Acta), tout en restant force de proposition, mantra de l’association de défense des libertés qu’il a cofondée, et abondamment défendue lors de son intervention.

Ouverture

Olivier Gendrin, artisan du Fab Lab récent ouvert à l’université de Cergy-Pontoise et baptisé Fac Lab, se reconnaîtrait sans doute dans la description d’une société fondée sur ces valeurs. Le Fac Lab, ce laboratoire où les outils – parfois de hautes technologies – et savoirs – parfois très pointus – sont mutualisés, a adopté sa sainte trinité : participer, documenter, partager. Tout en restant ouvert à tous :

Des juristes viennent, des ingénieurs et des physiciens aussi. Des professions qui ne se rencontrent pas sur le campus habituellement. Il y a des étudiants bien sûr, mais aussi des chômeurs, des mères de familles, des collégiens…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Un enthousiasme pour le Do It Yourself que certains questionnent. Le nom de Serge Humpich est revenu à deux reprises dans la journée de samedi. Une première fois, parce qu’il a été condamné après avoir rendu publique une faille dans les distributeurs automatiques de billet. Le tout en bidouillant une carte à puce. C’était il y a 12 ans.

Hier, Serge Humpich portrait un regard critique sur l’open hardware (le matériel libre), non sans provoquer quelques remous dans l’assemblée, certains lui reprochant de calquer les schémas de l’industrie sur le DIY.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Photographies par Ophelia Noor pour Owni
Interview de Serge Humpich préparée par Sabine Blanc, grande prêtresse du petit Minitel /-)

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Les hackers forment les journalistes http://owni.fr/2012/03/04/hackers-forment-journalistes/ http://owni.fr/2012/03/04/hackers-forment-journalistes/#comments Sun, 04 Mar 2012 18:37:23 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=100592

Okhin (TELECOMIX) pendant son atelier "Comment protéger ses communication en ligne ?" - (cc) Ophelia Noor/Owni

Comprendre le fonctionnement du réseau.  Sécuriser son ordinateur. Chiffrer ses communications et ses données sensibles. Adapter sa solution de sécurité au contexte. Hackers, défenseurs de la liberté de la presse et journalistes avaient rendez-vous samedi dernier à la Cantine autour de quatre ateliers.

Telecomix, un collectif d’hacktivistes très actif en Syrie notamment, Reflets.info, site d’information qui associe journalistes et hackers, et Reporters sans Frontières ont présenté quelques clés pour mieux protéger ses sources à l’heure où la surveillance change de moyens et d’échelle.

Dernière triste illustration en date : la mort de la journaliste américaine Marie Colvin et du jeune photojournaliste français Rémi Ochlik, tués en Syrie le 22 février dans des bombardement à Homs. Selon l’Electronic Frontier Foundation, ils auraient été trahis par leur téléphone satellitaire, qui a permis de connaître leur position.

Un réseau ouvert

Kitetoa, journaliste à Reflets.info, a présenté le fonctionnement du réseau, avant d’expliquer comment interviennent les technologies de surveillance, technologies que Reflets.info s’est fait une spécialité de surveiller. Protéger efficacement ses données personnelles, un enjeu de taille, passe par la compréhension de la nature d’Internet. Un réseau ouvert, issu d’une réflexion demandée par des militaires américains à des “universitaires aux cheveux longs et aux idées larges”. En somme, les machines communiquent entre elles et s’échangent des informations. Usant d’une métaphore, Kitetoa explique :

Imaginez que vous êtes au comptoir dans un bar. Vous demandez à quelqu’un à l’autre extrémité une bière. Pour ce faire, l’information doit transiter par toutes les personnes entre lui et vous. Idem au retour pour obtenir votre bière. Si les gens sont polis, la bière vous parviendra intacte. Sinon, ils peuvent aussi cracher dedans.

Le réseau peut être observé à plusieurs endroits à l’aide du Deep Packet Inspection, une technique qui permet d’explorer les paquets de données en profondeur, donc les données qui transitent. Une technologie duale utilisée tant pour mesurer la qualité du trafic qu’à des fins de filtrage et de censure. Lorsque Orange propose à ses clients un outil pour recevoir de la publicité ultra-ciblée, il fait du DPI sur la box du client. Pour Kitetoa, un tel outil revient “à se mettre volontairement sous surveillance”. Le filtrage peut aussi être à l’échelle d’une nation, comme en Libye avec l’aide de l’entreprise française Amesys, ou en Syrie grâce à QOSMOS et BlueCoat notamment.

La constat est grave mais des solutions existent. L’utilisation d’un réseau privé virtuel (un VPN) permet de court-circuiter quelques dispositifs de surveillance. Le VPN est un tunnel fermé qu’il est plus difficile de pénétrer, surtout lorsque les VPN sont de confiance.

Continuum de sécurité

Comprendre le fonctionnement du réseau et de ses failles est un premier pas vers une meilleure protection de ses données personnelles. Une autre partie se joue hors ligne, sur son ordinateur. Stéphane Koch, expert en sécurité informatique et intervenant auprès de RSF, décrit une chaine de sécurisation. Le chiffrement des données stockées sur son disque dur, en utilisant le logiciel TrueCrypt, est une étape, mais pas une fin en soi. Le continuum passe par le choix d’un mot de passe solide, le verrouillage systématique de sa session lorsqu’on s’éloigne de son poste de travail, l’effacement définitif des données supprimées…

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Chiffrement

Okhin, hacker du collectif Telecomix, a présenté les solutions de chiffrement, quelles que soient les activités en ligne : navigation, discussions instantanées, envois d’emails. Pour chaque catégorie existent des solutions gratuites et sûres. Le pack TOR comprend tous les outils pour protéger sa navigation en ligne et contourner la censure éventuelle. Les conversations en temps réel peuvent aussi être chiffrées en utilisant l’extension Off The Reccord (OTR) sur certains programmes, dont Pidgin ou Adium.

Le logiciel de chiffrement GPG permet à la fois d’authentifier la provenance des emails et de chiffrer leur contenu. Chaque interlocuteur possède une clé publique et une clé privée correspondante. La première permet de chiffrer le message, la seconde de déchiffrer les messages reçus. Le client de messagerie Thunderbird, utilisé avec EnigMail, offre la possibilité d’utiliser le GPG.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Anonymat ou chiffrement

Les responsables Internet à Reporters sans Frontières, Grégoire Pouget et Lucie Morillon, travaillent quotidiennement avec des sources potentiellement en danger, en Iran, en Biélorussie ou ailleurs. L’arbitrage entre chiffrement et anonymat est une question récurrente. Quand chiffrer devient suspect, il vaut mieux utiliser des stratégies d’anonymisation, comme des boites au lettre virtuelles mortes estiment-ils. La solution de sécurité doit être adaptée au contexte.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Erratum : Dans son interview, Okhin évoque l’arrestation de personnes en contact régulier via Skype avec RSF. Il ne s’agit pas de RSF mais de la Fédération international des droits humains (FIDH).

A (re) lire : Petit manuel de contre-espionnage informatique.
A consulter également, les podcasts de l’évènement pour chaque atelier et la table ronde, sur le site de Silicon Maniacs, co-organisateur de cette journée de formation.
Photos par Ophelia Noor pour Owni /-)
Vidéos à l’iPhone par Ophelia Noor et Pierre Alonso

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Un photographe à contre-temps http://owni.fr/2011/06/24/un-photographe-a-contre-temps-les-hommes-grenier-bertrand-meunier/ http://owni.fr/2011/06/24/un-photographe-a-contre-temps-les-hommes-grenier-bertrand-meunier/#comments Fri, 24 Jun 2011 13:55:00 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=68379

Cage d'escalier pour accéder à l'appartement où vivent 10 locataires, la plupart âgés ou malades. Hong Kong. Chine. 03/2010. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

C’est l’histoire de deux cultures qui se rencontrent. Pas la culture occidentale et la culture chinoise. Non, la culture du documentaire au long cours qui se frotte aux contraintes du webdocumentaire. Cette histoire, Les hommes grenier du photographe Bertrand Meunier et du journaliste Michaël Sztanke, nous la raconte.

Au départ : “une interrogation sur l’urbanisme en Chine et en Asie, et les violences faites à l’homme dans sa façon de vivre”, rappelle Bertrand Meunier. Lui qui a déjà réalisé de nombreux reportages photo en Chine découvre le sujet du futur webdocumentaire dans un article de presse. À Hong Kong, des hommes et des femmes vivent dans des cages.

Dans certains immeubles, les gens vivent sur des lits superposés. Avant, les lits étaient fermés par des grillages, d’où “les homme cage”. Maintenant les grilles ont disparu, mais pas les dortoirs. On parle d’hommes grenier… Ces hommes qu’on exploite et qu’on cache.

Pendant plus de deux mois, 5.000 "chemises rouges" ont occupé le coeur de Bangkok pour réclamer la démission du gouvernement. Le fosse s'est creuse entre les masses rurales et populaires des environs de la capitale et les élites de Bangkok. Entre le 13 mai et le 19 mai, les affrontements entre les militaires et les manifestants ont été d'une grande violence. 89 morts et 1900 blessés. Bangkok. Thaïlande. 05/2010.

Le sujet est là. Il s’inscrit dans un projet plus large pour Bertrand Meunier : travailler sur quatre villes asiatiques – Hong Kong, Tokyo, Bangkok, Shanghaï – pour en faire apparaître une cinquième, synthèse des quatre mégalopoles, synonyme de centres commerciaux et épreuve de modes de vie et de consommation communs.

Pour traiter le sujet, Bertrand Meunier s’associe à un journaliste français, Michäel Sztanke, ancien correspondant de RFI en Chine qui travaille aujourd’hui pour Baozi Production. Ils montent le projet en réponse à un appel d’offre de la boîte de production Narrative. Une opportunité de commencer une série, et de s’initier au webdocumentaire. Michaël Sztanke filme. Bertrand Meunier photographie, en argentique. Sept jours sur place, de longues discussions avec les habitants par l’intermédiaire d’un guide, tout en maintenant une présence discrète.

C’est difficile de se faire accepter dans l’intimité des personnes qu’on rencontre. Nous avons passé beaucoup de temps avec eux, nous avons énormément discuté. Dans certains cas, un locataire est chargé de ramasser le loyer des autres. Il paie son loyer comme ça, en travaillant pour le propriétaire. Eux n’aiment pas les journalistes.

Vue d'une partie du quartier de Sham Shui Po ou l'on trouve ces nombreux logements a louer: "maisons cages" ou "maisons-greniers" à 150 euros par mois. Hong Kong. Chine. 09/2009. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

Le webdocumentaire est une plongée dans cet environnement exigu. Plus que donner de l’information, Bertrand Meunier voulait faire “entrer le lecteur dans un univers”, le laisser plusieurs minutes face aux photographies, sans musique ni voix off. Un choix artistique difficilement compatible avec la forme actuelle du webdocumentaire selon lui, une ambition liée à son parcours professionnel. Issu du cinéma, il n’est devenu photographe professionnel que tardivement.

Je suis fasciné par le documentaire de Wang Bing À l’Ouest des rails. Il dure neuf heures. Il ne se passe rien mais c’est la qualité de ce documentaire, filmé en caméra à l’épaule. Le spectateur est mis en face du déclin industriel chinois et en prend plein la gueule.

Face aux questions de l’interactivité posées par les différentes formes du webdocumentaire, Bertrand Meunier préfère l’association du son et de la photographie où, selon lui, les choix artistiques et le propos des auteurs ne sont pas aliénés à la technologie. “Je m’interroge sur cette notion d’interactivité avec cette abondance d’information proposée au spectateur. La technologie du webdocumentaire interrompt le fil du récit”. Bertrand Meunier admet également être un inconditionnel de l’argentique : “J’aime le négatif, faire des tirages et toucher le papier. C’est un plaisir. Et je trouve que le rendu est magnifique.”

Quartier de Minowa au nord de la capitale. Un restaurant karaoké pour ouvriers. Ce quartier est connu pour accueillir la population la plus démunie de la ville. Les gens sont sans emploi ou travaillent comme ouvriers dans les chantiers. Tokyo. Japon. 06/2010. ©Bertrand Meunier - Tendance Floue

Dans ses futurs projets : un voyage subjectif en France, en son et en images, avant de revenir vers la Chine. Le travail en France a commencé en 2009 à Sète, prolongé dans les marais de la Somme, à Uzerche, et bientôt dans les Landes et l’Alsace.

J’ai envie de parler de mon pays. C’est un voyage subjectif en France, avec une narration précise. Ça s’appellera Dépaysement.

Inspiré par les photographies de Josef Koudelka sur l’exil, vingt ans de travail, et de Robert Frank sur Les Américains, deux ans à parcourir son pays, il espère que son travail sur la France aboutira en 2014. De l’engagement du documentariste, c’est la patience, la minutie et la lenteur que Bertrand Meunier aime plus que tout, dans une époque qu’il trouve si rapide.


Le documentaire Les hommes grenier sera projeté au festival des Nuits Photographiques ce vendredi 24 juin 2011. Rendez-vous à partir de 20h00 au Parc des Buttes Chaumont.

Photos ©Bertrand Meunier/Tendance Floue, tous droits réservés

Vous pouvez consulter les photos de Bertrand Meunier et des photographes du collectif Tendance Floue

Télécharger le programme des nuits photographiques
Télécharger l’affiche du festival:

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100 millions de mineurs http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/ http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/#comments Fri, 03 Jun 2011 08:28:10 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=65260 Les membres du collectif Argos seront présents vendredi 3 juin au festival les nuits photographiques, en accès libre au parc des buttes Chaumont pour une projection en plein air de leur webdocumentaire Cuatro Horas, sur une mine coopérative au Chili. Owni est partenaire des nuits photographiques et vous fera découvrir tout au long du mois de juin, une des oeuvres projetées.

Quelle est l’origine de vos reportages sur les mines ? L’avez-vous conçu comme le projet sur les réfugiés climatiques ?

Guillaume Collanges : Je travaillais sur l’industrie et j’avais fait un reportage sur la fermeture des usines de charbon en 2003. Je viens moi-même du Nord, une région minière. La découverte en 2003 a été un choc. La mine est un univers compliqué : d’un côté, elles ont une très mauvaise image, ont la réputation de détruire l’environnement et les hommes ; d’un autre côté, les mineurs sont extrêmement fiers et regrettaient tous que la mine ferme, malgré la dégradation de leur état de santé. C’est l’amour-haine cet environnement ! En bas, il y a une solidarité qui transgresse les questions sociales, le racisme. Les chantiers sont énormes ! L’économie de la France s’est basée sur le charbon. Les mineurs ont connu une heure de gloire passée à laquelle ils se réfèrent encore. Ils étaient souvent immigrés et très pauvres, mais la mine a servi d’ascenseur social. Leur métier était très difficile mais ils avaient un logement, les salaires ont augmenté, ils ont pu payer des études à leurs enfants. Ces grosses industries ont mauvaise image mais elles ont fait vivre des milliers de personnes.

Sébastien Daycard-Heid : En 2007, Guillaume et moi avons fait un reportage sur la piraterie minière. Ce sujet en Afrique du Sud a été difficile à faire et assez marquant. Il s’agissait de mineurs illégaux qui travaillaient clandestinement dans les mines, y restant parfois plusieurs mois. Ils étaient en compétition avec les entreprises qui se partageaient la même mine, non sans heurts. Deux mondes coexistent : les entreprises minières qui sont là depuis plus de cinquante ans mais dont les retombées économiques sont trop faibles pour la population locale, et la piraterie minière qui se développe et entre en compétition frontale voire armée contre les entreprises et l’État. Au début, les illégaux étaient des Sud-Africains, puis ils ont prospéré et ont commencé à faire venir des clandestins étrangers. On s’est rendu compte qu’il y avait énormément d’illégaux dans les mines à travers le monde et qu’il y avait matière à faire une série transversale.

100 millions de personnes travaillent dans des mines !

Quels seront les prochains sujets ? Comment allez-vous les traiter sur la forme ?

Cédric Faimali : Notre approche de la question est transversale. Nous traitons plusieurs cas différents dans plusieurs pays, avec plusieurs médias : photo et texte, mais aussi vidéo et son de façon systématique. Le but est de constituer une matière première exploitable sous de multiples formes qui permet d’avoir une diffusion multi-support, une vitrine et des revenus pendant le projet. En Colombie, nous avons auto-financé notre reportage parce qu’il lançait la série et était surtout destiné à la presse. L’Afrique du Sud a été produit par GEO et Scientifilms en télé pour ARTE REPORTAGES. Le reportage au Pérou a été vendu à la presse et en webdoc. Le produit fini sera un livre et une exposition. Peut-être un webdoc en suivant un fil conducteur transversal.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Guillaume Collanges : Pour la Lorraine, nous avions fait un webdoc avant l’heure en 2004, un diaporama sonore. Notre premier reportage en Afrique du Sud raconte l’histoire du pays et son fonctionnement actuel : les mineurs sont un peu mieux payés mais les accidents sont très courant : les migrants sont en tête de taille, le poste le plus dangereux.

Sébastien Daycard-Heid : Les prochains reportages seront sur les communautés de mineurs en Ukraine et aux États-Unis. Aux États-Unis les mineurs américains reprennent la tradition de recherche de l’or. Nous partirons sur les traces d’une longue littérature de reportage écrite par Jack London, Blaise Cendrars ou Cizia Zykë dans un autre genre. Côté photo, la référence est bien sûr Sebastiao Salgado qui a travaillé sur la Serra Pelada dans les années 1980. Ce qui nous intéresse, c’est de revisiter cette thématique 30 ans ou plus après, avec les changements liés à la mondialisation.

La filière minière raconte donc une histoire de la mondialisation ?

Sébastien Daycard-Heid : Les mines ont engendré des villes, du commerce et San Francisco illustre bien que du développement peut naitre de cela. Aujourd’hui, la plupart des villes minières sont des villes fantômes en puissance. Les mines sont des trappes à pauvreté. Ce ne sont plus des paysans comme à la Serra Pelada, mais parfois des médecins, des fonctionnaires, ceux qui ne trouvent pas leur place dans les villes. L’intérêt de l’approche transversale, contrairement à une approche plus classique qui consiste à suivre une filière de l’extraction à la consommation, est de montrer une condition humaine partagée et un problème lié au développement minier en général. Il ne concerne pas que quelques mineurs isolés mais des millions de personnes.

En creux apparaissent les politiques de développement des États et le rôle du consommateur.

L’exemple du panneau solaire est assez significatif : c’est un produit lié au développement durable, mais sa production nécessite du lithium dont l’origine est parfois très incertaine.

Sébastien Daycard-Heid : Le problème n’est pas le métal en lui-même mais les modes de productions et la logique de marché. On n’est pas sorti de la logique uniquement mercantile des conquistadors : captation de la ressource, concentration et vente. À aucun moment, on ne s’interroge sur l’origine du métal. Les métaux sont au cœur du fonctionnement de la bourse qui s’est bâtie dessus et donc par ricochet du système économique mondial. En revanche, les logiques de marché peuvent changer pour obliger les compagnies minières à reverser des revenus aux populations locales par exemple. Les progrès techniques permettent aussi d’améliorer la problématique environnementale. Après le mercure et le cyanure, la technique traditionnelle de la gravitation revient en utilisant des machines, donc en restant dans un processus traditionnel.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges

Quels sont les modèles de production alternatifs pour les mines ?

Cédric Faimali : Le sujet des mines n’est absolument pas manichéen, il faut absolument se débarrasser de ce préjugé pour le comprendre. D’où l’intérêt de travailler en série pour souligner les nuances. A Cuatro Horas, les mineurs illégaux ont développé le travail en coopérative et se sont battus pour racheter leur mine. Mais l’individualisme est en train de reprendre le dessus avec le plafonnement économique de la mine, aucune filière de marché intègre cet or.

Sébastien Daycard-Heid : Le label or équitable certifié Max Havelaar existe en Grande-Bretagne depuis le 14 février. On est au début de la reconnaissance de ce label. Pour l’or, il faut assurer la traçabilité des métaux et l’existence d’une filière séparée. De plus en plus de joailliers entrent en contact avec des affineurs qui cherchent eux-mêmes des filières de production équitables. Max Havelaar a justement cette fonction d’expertise de certification. En France, la situation est très différente : le marché n’est pas composé d’artisans mais d’industriels du luxe. Même si la filière est embryonnaire, l’idée de traçabilité rentre dans les habitudes y compris pour l’or.

Une filière équitable pour l’or pourrait émerger ?

Guillaume Collanges : Pour la filière équitable, le prix très élevé de l’or est un avantage. De petites productions ou coopératives peuvent devenir des projets pilotes. A contrario, si une filière équitable de l’or apparaît, les interrogations sur les filières non-équitables vont se multiplier : est-ce de l’or sale ? Pas forcément, bien sûr, mais la question sera posée.

Cédric Faimali : Le commerce équitable enclenche une dynamique vertueuse même sans représenter 70 ou 80 % du marché. De toute façon, il suppose un lien direct entre producteur et consommateur ce qui paraît difficile à réaliser pour le cuivre.

Quelles sont les conditions de travail des mineurs illégaux ?

Sébastien Daycard-Heid : La clandestinité entraîne les plus mauvaises pratiques, même pour les mineurs qui arrivent avec les meilleures intentions. Ils peuvent mourir d’un incendie au fond de la mine, d’une rixe parce qu’ils ont trop picolé. Quand les mineurs remontent après quelques semaines ou même une nuit, ils dépensent une grande partie de leur salaire en alcool ou autre. En Afrique du Sud, tous les illégaux étaient jeunes. Les chefs avaient 30-35 ans parce qu’ils ont besoin d’avoir une excellente condition physique. Pendant une semaine au fond, ils ne mangent que des barres énergisantes.

Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Cédric Faimali

Des ONG font-elles de la prévention ?

Sébastien Daycard-Heid : Les ONG sont très peu présentes dans les régions minières. Elles pourraient pourtant aider réformer les modes de production en faisant de la prévention sur les risques sanitaires et environnementaux. Le sous-sol appartient aux Etats, contrairement aux terres agricoles qui appartiennent aux cultivateurs. Les activités des ONG, surtout internationales, sont trop perçues comme des ingérences alors qu’il y a urgence. Les ONG locales ont peu de moyens. La réglementation internationale en est à ses balbutiements après le scandale des diamants du sang. En juillet dernier, la loi Dodd-Frank sur la finance votée aux États-Unis ont contraint les entreprises américaines côtées en bourse à certifier la provenance des métaux qu’elles utilisent. L’objectif est de mettre fin à la guerre au Congo qui se nourrit des ressources minières.

Cédric Faimali : L’or sert aussi à blanchir l’argent de la drogue. En Colombie notamment, certains investisseurs achètent des mines au-dessus de leur valeur. En plus, l’or est déjà une monnaie : échangeable et substituable. On peut facilement payer des armes, financer des milices, corrompre des fonctionnaires. C’est une économie grise, informelle. Idem avec le coltan par exemple. Améliorer la traçabilité permet de sortir de ces logiques.


Télécharger le programme des nuits photographiques
Télécharger l’affiche du festival
Photographies du Collectif Argos/Picture Tank © tous droits réservés Guillaume Collanges et Cédric Faimali

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http://owni.fr/2011/06/03/100-millions-de-mineurs/feed/ 4
Argos 10 ans au long cours http://owni.fr/2011/03/22/argos-fete-ses-10-ans/ http://owni.fr/2011/03/22/argos-fete-ses-10-ans/#comments Tue, 22 Mar 2011 11:30:32 +0000 Ophelia Noor et Pierre Alonso http://owni.fr/?p=52567 Comment est né le collectif Argos ?

Cédric Faimali : J’avais en tête l’idée d’un collectif depuis 1993. À l’époque, j’ignorais que le Bar Floréal et Tendance Floue existaient. J’étais étudiant. Parfois je suivais les manifestations et j’essayais de vendre mes photos. 200 frs, c’était pas grand chose. Un ami faisait une école de photo et l’établissement leur avait prêté un local. J’avais adoré cette idée d’avoir un bureau, de pouvoir échanger et collaborer avec d’autres photographes plutôt que d’être seul dans mon coin, d’appeler les rédactions, d’avoir un numéro de contact…

Dans les années qui ont suivi, le nombre de collectifs a augmenté. En 1999, j’ai monté mon propre collectif avec deux autres photographes, Côté Cour. Il n’a duré que quelques semaines, mais je voulais poursuivre sur cette voie. J’ai contacté Guillaume Collanges qui était déjà une connaissance. Il était d’accord et en a parlé autour de lui. Hélène était intéressée mais elle voulait travailler avec des rédacteurs. Tous les deux ont été intégrés dès le début. Nous étions cinq assez rapidement.

Hélène David : On avait envie de faire un travail documentaire sur des problématiques sociales et environnementales. Parfois, les photographies ne suffisent pas. Pour les réfugiés climatiques par exemple, le texte apportait des informations utiles à la compréhension.

Aude Raux : Au niveau du fonctionnement du collectif, chaque mardi matin nous nous réunissons pour régler les affaires courantes. Et tous les ans, nous faisons une colo qui nous permet d’être ensemble pendant trois jours. C’est l’occasion de faire le point, de prendre le temps de scruter l’horizon et de développer des projets sur les années à venir. On compare aussi comment on arrive à vivre de la presse et globalement nous remarquons que nos carrières évoluent mais que nos salaires baissent.

Le prix de la liberté est cher payé par rapport à la sécurité financière.

Comment définiriez-vous le collectif Argos ? Quelles sont ses valeurs ?

Cédric Faimali : En quelques mots : l’humain avant tout, l’homme dans son environnement naturel et social. Les réfugiés climatiques ne parlent pas de l’environnement, mais des hommes qui souffrent à cause du changement climatique. Ce sujet a nécessité quatre ans de réalisation. Il n’est entré dans l’actualité qu’avec la campagne électorale de 2007. Tout le monde a commencé à parler du changement climatique. Notre reportage était prêt. On était dans le timing médiatique, personne n’y avait pensé avant.

Sébastien Daycard-Heid : Les sujets au long cours font partie de l’identité d’Argos. On a une approche documentaire éloignée de l’actualité. Nos sujets auront peut-être une actualité après. Nous les traitons avant, en amont. Notre but est de donner à comprendre. L’approche documentaire redonne du sens et du contexte. Mais c’est un travail de longue haleine. Ce travail n’est pas valorisé dans les journaux qui traitent l’actualité mais c’est le cœur de notre activité.

Quels sont les avantages d’un collectif ?

Cédric Faimali : Au début, les rédactions ne se souvenaient pas toujours de nous individuellement. Comme on travaille sur des sujets longs, on ne voyait pas les rédactions très régulièrement. On les rappelait après plusieurs mois. Mais, petit à petit le nom du collectif s’est imposé. Même sans nous connaître en personne, ils avaient entendu parler du collectif Argos.

Sébastien Daycard-Heid : L’intérêt du collectif est là : on a un espace de travail en commun, on peut échanger. Un collectif, c’est aussi un bel outil pour monter des projets. Argos est une association loi 1901 et peut donc recevoir des subventions publiques. Le collectif n’a pas été pensé dans une logique carriériste. Vu la précarité des métiers de journaliste et de rédacteur en ce moment, on a tout intérêt à se regrouper et à travailler ensemble pour avoir une visibilité plus forte.

Cédric Faimali : Dès le début, on a eu envie de faire des sujets tous ensemble. On ne faisait pas que partager des bureaux. Cela nous donne aussi une force de frappe plus importante. Quand je rentre de reportage et que je le présente à une rédaction, j’évoque aussi le travail des autres membres d’Argos.

Chacun devient le commercial de l’autre. On gagne tous en visibilité. Ce qui profite au collectif profite à chacun individuellement.

Est-ce que les propositions viennent plus des rédacteurs ou des photographes ? Comment naissent les sujets en général ?

Cédric Faimali : Le sujet sur les mines qu’on vient de réaliser, a été proposé par Sébastien. Au départ, il voulait travailler avec Guillaume qui connaît bien ces sujets. Après, il est aussi venu vers moi, j’avais déjà traité le monde du travail sous un angle différent de celui de Guillaume. Tous les sujets n’intéressent pas tout le monde. Nous faisons nos choix selon les sensibilités de chacun.

Sébastien Daycard-Heid : Sur un projet nous avons toujours une personne au centre du sujet qui le lance et en assure le suivi. Le rédacteur est souvent plus à même d’écrire la présentation. En travaillant à plusieurs, un photographe, un rédacteur, et parfois un graphiste, on a aussi accès à plus de supports. Un photographe peut travailler seul pour en sortir un portfolio. En tant que rédacteur, j’ai davantage besoin du photographe pour faire passer le message et diffuser mon travail. La photo passe sur le web, dans les magazines, les livres, dans le journal.

La photo, c’est l’image caméléon. À force de travailler avec les photographes, je suis devenu mordu. C’est une forme de réflexion supplémentaire dans notre métier. Il faut penser les sujets en terme de texte et d’image.

Le photographe développe-t-il sa propre narration ?

Cédric Faimali : Au début, on ne voulait pas s’associer avec des rédacteurs uniquement pour qu’ils écrivent les synopsis ou les légendes. Au contraire ! Chacun apporte une information. Le texte donne une information, la photo aussi. Une image, c’est une phrase. La photo ne colle donc pas forcément exactement au texte du rédacteur et vice-versa.

Sébastien Daycard-Heid : Chaque sujet a un rapport à l’autre et tous se complètent. À l’intérieur de chaque sujet, chacun est libre de le traiter différemment en fonction de sa sensibilité. La manière de construire un reportage écrit peut s’appliquer à n’importe quel autre support. Les ingrédients, la construction sont les mêmes.

Pendant le reportage, vous travaillez ensemble ?

Sébastien Daycard-Heid : Ça dépend du média. En presse écrite et en magazine, on nous demande de travailler séparément parce que chacun doit développer son regard. En web, il faut qu’on soit quasiment tout le temps ensemble : si une interview est très intéressante et qu’il y a un moment à saisir, il faut que le photographe soit là pour la filmer. Travailler main dans la main est indispensable pour le web.

Cédric Faimali : Au départ, on planifie la narration. On détermine ce qu’on veut en vidéo, ce qu’on veut en photo. On peut décliner des reportages presse sur le web comme ça. Je sais à l’avance comment je ferai mon montage une fois sur place. Maintenant que les appareils photo permettent de faire de la vidéo, on peut facilement passer d’un support à un autre.

Sébastien Daycard-Heid : Quand on fait de la vidéo, on est obligé d’être tout le temps ensemble. La prise de son sur notre caméra (Canon 5D II, un réflex numérique) est trop mauvaise pour être exploitée en l’état. Le rédacteur devient donc un preneur de son.

J’ai découvert ce métier et j’aime beaucoup. C’est comme chasser des papillons. À l’origine, j’utilisais un dictaphone pour m’aider à la prise de note, et c’est devenu un pan entier de mon activité. Je le fais maintenant systématiquement.

Qu’est-ce qui vous a marqué dans l’actualité depuis 10 ans ?

Hélène David : C’est difficile de parler au nom de tout le monde, c’est quelque chose de très personnel, mais collectivement je pense qu’on sera d’accord pour dire que c’est l’élection de Le Pen au 1er tour de la présidentielle en 2002. C’était d’ailleurs notre premier projet collectif. Nous avions commencé en amont à travailler sur la présidentielle.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de vos métiers ces dernières années, et quelles sont les perspectives d’avenir ?

Aude Raux : Nos métiers se sont diversifiés. Il faut suivre un sujet très en amont et jusqu’au bout. Chercher des fonds et monter les dossiers de financement, faire la présentation du projet, s’occuper des expositions, de l’édition, etc. Au début, on se concentrait sur la presse. Mais on travaille maintenant sur des supports de plus en plus nombreux et différents.

Pour les réfugiés climatiques par exemple, nous avons pris en charge l’édition de grandes bâches pour des expositions.

Il est de plus en plus difficile de suivre un sujet dans la durée dans la tradition du journalisme documentaire. Nous n’avons plus les moyens de l’enquête. Or la notion de durée est importante. C’est elle qui fait la différence avec les personnes qui font l’objet du reportage.

Quand nous avons travaillé sur le projet Qui sème l’espoir en banlieue avec Jérômine [Derigny] nous nous sommes rendus compte que les journalistes avaient mauvaise réputation. Il faut du temps pour gagner la confiance des gens et le fait d’être présent pendant deux ans sur le terrain a été déterminant.

Guillaume Collanges : Le passage de l’argentique au numérique a tout changé. Il y a dix ans, peu d’entre nous avaient des appareils photos numériques, qui n’étaient d’ailleurs pas bons et très chers. Aujourd’hui, on bosse tous en numérique. De même, l’entrée de la vidéo chez les photographes est très importante et de plus en plus de sujets multimédias en contiennent.

Aude Raux : Au départ du collectif en 2001, nous étions juste rédacteurs ou juste photographes. La diversification est venue au milieu des années 2000 avec un nouveau schéma économique pour la presse.

Le journaliste est maintenant multi-casquette, à la fois chargé de projet et de diffusion. Il faut travailler en multi-support car la presse écrite seule ne suffit plus, elle ne diffuse plus de longues enquêtes.

Nous sommes dans un système économique dans lequel on s’essouffle à s’éparpiller autant. Je fais beaucoup de corporate pour payer les factures. Je dois aligner les feuillets pour vivre. Après 15 ans de boulot tu as envie de passer à autre chose. L’idéal serait de ne vivre que de la presse et ne pas être obligé de faire du corporate ou alors du “corporate intelligent” dans le sens où nous travaillerions avec des ONG qui ont les mêmes valeurs que nous.

Guillaume Collanges : Chez Argos nous sommes déjà trois photographes en formation vidéo. La mutation des boîtiers photographiques a ouvert une porte aux photographes. Nous aussi nous avons évolué. Le principal avantage de ces nouveaux outils c’est le rapport photographique à l’image : nous pouvons jouer sur la profondeur de champ comme dans une image-cinéma alors que l’image-vidéo de base ne le permet pas : tout est lisse et net.

Il faut continuer dans la lignée de ce qu’on fait depuis quelques années. Se diversifier et faire du multimédia, de la vidéo, nos appareils photos nous le permettent aujourd’hui. C’est aussi une réelle valeur ajoutée de pouvoir développer des projets sur plusieurs plateformes. Mais c’est bien également de travailler avec des preneurs de son, des webmasters, des réalisateurs. En tant que photographe, on ne peut pas tout faire tout seul et bien.

Quelle place occupe le multimédia dans votre production ?

Guillaume Collanges : Nous aimerions qu’il prenne une plus grande part à l’avenir. Dès 1999, nous avions fait un premier montage photos et son pour le reportage sur les Établissements Thibault : la fin d’une usine. J’avais travaillé à cette occasion avec un journaliste de Radio France, Sébastien Laugénie. Et dès le début des années 2000, nous avons travaillé avec des preneurs de son de l’association le Chant des grenouilles bleues, notamment sur les chaussures Germaine et la fermeture des mines de Lorraine.

A l’époque il existait peu d’espaces de diffusion pour ce genre d’objet hybride. Mais cela s’est accéléré avec le passage au numérique. Aujourd’hui j’aimerais bien remonter en multimédia mes reportages sur le charbon en Lorraine. J’ai le sentiment que la presse devient une vitrine : pour faire court, on monte un book presse qui nous rend crédibles auprès d’autres acteurs, ce qui nous permet de décrocher une mission “corporate” par exemple.

Les espaces reportages se réduisent considérablement dans les magazines. De plus en plus nous devons penser en terme de multimédia et de multiplateformes.

Et le web, vous pensez que ça peut-être une solution ?

Guillaume Collanges : De manière générale nous sommes assez dubitatifs sur l’économie du Net. Est-ce que c’est rentable? Il faut être concret : comment financer les enquêtes, les reportages, les documentaires. Ce n’est pas très poétique, mais la presse décline lentement et sûrement depuis longtemps.
Comment inverser cette tendance ? On nous dit que les webdocs font beaucoup d’audience, mais personne ne donne de chiffre précis. Alors qu’avec cette diffusion, on peut précisément savoir combien de personnes, combien de temps, quelle parcours dans la navigation on fait les internautes.

Ce qui est clair, c’est que nous ne pouvons plus, depuis un bon moment déjà, nous contenter de la presse et du documentaire pour vivre, même si c’est ce que nous souhaitons le plus, nous devons faire du “corporate”. Nous cherchons donc à développer ces différents modes de diffusion : multimédia, livre, expos… les piges de la presse papier ne cessent de baisser. Pour réaliser nos projet, nous avons déjà eu des subventions publiques, notament de l’ADEME pour les Réfugiés Climatiques” et il est vital de diversifier ses financements. La plupart des webdocs réalisés récemment l’ont été avec le soutient du CNC ou de la SCAM (Société civile des auteurs multimedia) voire de fondations privées.

Aude Raux : Nous avons très vite fait le choix d’avoir un site Internet et des blogs liés à des projets spécifiques comme pour les réfugiés climatiques, les mines (A life like mine) ou Gueule d’Hexagone. J’aime beaucoup écrire, et je suis peut-être une dinosaure mais le web-documentaire n’est pas une forme qui m’attire. J’ai surtout découvert l’interactivité extraordinaire d’Internet à l’occasion de notre projet Gueule d’Hexagone et du blog associé. Avec Jéromine, nous sommes restées plusieurs jours dans un village du Sud du Finistère où nous tenions le blog à jour pendant les reportages. Tous les jours, on allait petit-déjeuner au café des sports et au bout d’un moment, les autres clients nous reconnaissaient et nous interpelaient : “Ah aujourd’hui vous allez voir untel ou untel”.

Ils suivaient notre reportage sur notre blog. Ce n’était plus virtuel !

Sébastien Daycard-Heid : J’ai été obligé de m’y intéresser en travaillant sur les webdocs. Mais ils fonctionnent essentiellement sur des subventions. Le CNC qui dépend du Ministère de la Culture prend les risques financiers au début. Cette économie est entièrement artificielle. Le webdoc est passionnant sur le fond et la forme, mais le modèle économique n’existe pas encore. Les boites de production en webdoc sont financées par le ministère de la Culture. Il n’y a pas de financement privé de fondations comme aux États-Unis.

Les milliardaires philanthropes français investissent dans les médias, pas dans le contenu. Propublica, le site américain qui a gagné le prix Pulitzer l’année dernière, est financé par un couple de milliardaires philanthropes. Ils financent du contenu, des enquêtes. Cette logique me paraît particulièrement intéressante. Plus que le crowdfunding (production communautaire) auquel je ne crois pas du tout.

Il n’y a jamais eu autant de médias. Pour nous, producteurs de contenus, il n’y a jamais eu autant de possibilité de diffusion qu’aujourd’hui. Le financement de la prise de risque initiale reste le problème principal.

10 ans, 10 journalistes: Aude Raux et Sébastien Daycard-Heid sont rédacteurs. Héléne David, Cédric Faimali et Guillaume Collanges sont photographes. Les autres membres sont : Guy-Pierre Chomette (r), Donatien Garnier (r), Eléonore Henry de Frahan (ph), Jéromine Derigny (ph), Laurent Weyl (ph).

À l’occasion de ses 10 ans, OWNI suivra régulièrement le collectif Argos tout au long de l’année 2011. Stay tuned /-)

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Crédits photos: ©Collectif Argos/Picture Tank

Jéromine Derigny, Bensmim, vol à la source

Laurent Weyl, Eau : source de vie source de conflit. Le cas israélo-palestinien et La mer d’Aral

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